La ville qui n'aimait pas son roi
que vous avez préparé.
Le jeudi 22 décembre, après avoir entendu la messe, Henri III se promena jusqu’à midi avec le duc de Guise. Le Lorrain lui
annonça d’un ton fâché que puisqu’on lui refusait la charge de connétable, il quitterait Blois dès le lendemain pour rentrer
à Joinville. Le roi le supplia de n’en rien faire, qu’il lui avait promis cette charge, et qu’il l’aurait après Noël. Il lui
confirma aussi son départ pour La Noue le lendemain vendredi 23 et lui demanda à cette occasion de lui faire passer la clef
de la porte de la galerie des Cerfs, car il partirait pour sa retraite avant le lever du soleil et ses serviteurs auraient
beaucoup d’allées et venues pour préparer ses voitures. Le duc, amadoué par la promesse, accepta de remettre la clef à celui
qui viendrait la chercher.
À onze heures, il reçut à dîner son frère le cardinal avec M. de Saveuse pour passer en revue les derniers détailsde l’enlèvement. Une compagnie de gentilshommes arrêterait le coche du roi, tandis qu’une vingtaine d’Albanais mettraient
en joue son équipage avec des mousquets. Si l’escorte demandait merci, il n’y aurait aucune effusion de sang. Le roi devrait
alors signer une lettre dans laquelle il renonçait au trône et demandait aux États généraux de choisir le duc de Guise comme
héritier de Charlemagne. S’il refusait, il serait conduit à Paris et remis aux Parisiens qui le jugeraient. Dans tous les
cas le cardinal de Guise ferait voter sa destitution et l’élection de son frère.
Des centaines de gentilshommes et de soldats se tenaient prêts pour empêcher tout désordre. Le duc insista auprès de son frère
sur son désir de ne pas faire couler le sang et sur les mesures qui seraient annoncées aux États généraux : forte baisse des
tailles et exclusion de Navarre de tous ses droits à la couronne. Ils n’abordèrent pas le cas du cardinal de Bourbon qui était
au plus mal.
Ils passèrent à table. C’est en dépliant sa serviette que le duc découvrit ces quelques mots sur un papier plié :
« Prenez garde à vous, on est sur le point de vous jouer un mauvais tour. »
En fronçant le front, il montra le pli à son frère.
— Ce nouvel avertissement s’ajoute aux autres que j’ai reçus… s’inquiéta-t-il.
— Ne vous tourmentez pas pour cela, le rassura le cardinal de Guise, je crois avoir percé l’origine de ces mystérieux avertissements…
Intrigué, le duc haussa les sourcils. Il ne se passait pas un jour sans qu’on le prévienne de quelque chose contre lui, et
cette situation lui faisait perdre les nerfs.
— Le roi est impuissant, expliqua le cardinal, il ne lui reste que la parole… et ces petits bouts de papiers. Il sème de faux bruits tout simplement pour vous faire peur et vous inciter à quitter Blois. (Il toussota.) Ce serait un comble qu’il y parvienne avec seulement quelques feuillets et une plume d’oie quand vous disposez de la puissance des armes!
Le duc n’y avait pas pensé. Mais il est vrai que c’était un moyen habile, et qui ne coûtait rien! Ainsi, on cherchait à l’effrayer! Lui, le Balafré qui avait vaincu les reîtres!
Il s’apprêtait à rageusement déchirer le papier quand il se retint et appela le valet qui servait les vins pour qu’il lui
porte une mine de charbon. Dès qu’il l’eut, il écrivit sur le billet :
« On n’oserait! »
Puis il jeta le papier à ses pieds.
— Ceux qui s’amusent à ce petit jeu comprendront ainsi que c’est inutile, et trop tard, fit-il à son frère dans un sourire suffisant.
Dans l’après-midi, le duc reçut la visite de Larchant. Le capitaine des cent archers de la garde du roi était chevalier du
Saint-Esprit et Guise le savait fidèle au roi, mais il l’estimait et était en bons termes avec lui. S’il s’était souvenu que
Larchant avait déjà sauvé le roi en Pologne, il se serait pourtant méfié.
En s’excusant, le vieux capitaine expliqua que la garde royale grondait, n’étant plus payée depuis des semaines. Les archers
voulaient lui demander d’intervenir auprès des États pour que leurs gages soient enfin versés. Pour cela, ils avaient prévu
de se rassembler le lendemain dans la cour. Guise, satisfait à l’idée que même les archers du roi l’abandonnent, s’engagea
à les entendre et à parler pour eux.
Larchant demanda ensuite au duc de lui confier la clef de la porte aux
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