La ville qui n'aimait pas son roi
l’escalier à claire-voix de la tour du Moulin. Arrivé au deuxième étage, il fut stupéfait de n’apercevoir aucun garde, aucun Suisse. Il entra en coup de vent dans la bibliothèque. Vide!
Un affreux gémissement retentit, puis ce fut le bruit sourd d’un corps qui tombe. Le cœur battant le tambour, Poulain comprit
qu’on venait de tuer le roi.
Il sortit son épée, ouvrit la porte de l’oratoire, puis entra dans la chambre royale, décidé à son dernier combat.
Il découvrit un effroyable spectacle, à peine moindre que celui d’un champ de bataille. Une vingtaine d’hommes ensanglantés,
tous dagues en main, sans chapeau, parfois griffés, entouraient le lit du roi. Il y avait du sang partout.Les tapis en étaient imbibés. Il reconnut Ornano, une dague rougie au poing, Montpezat tenant son épée dans une main et son fourreau dans l’autre, et surtout plusieurs des quarante-cinq qui avaient quitté le service du roi : La Bastide, Mousivry, Saint-Malin, Saint-Gaudin, Saint-Capautel, Halfrenas, Herbelade! La tête lui tourna. Ces traîtres venaient de tuer son roi!
Il allait se précipiter sur eux quand la porte du cabinet neuf s’entrouvrit et Henri III, livide, entra.
Le roi l’oreille collée à la porte du cabinet neuf avait écouté la lutte avec anxiété. Le silence revenu, il avait entrouvert
la porte, et ayant glissé sa tête, avait embrassé le spectacle et découvert le corps du duc étendu sur le tapis du lit, ensanglanté
de toutes parts.
Rassuré, il était entré dans la chambre. C’est à cet instant que Poulain l’avait vu.
— Te semble-t-il qu’il soit mort, Loignac? demanda le roi.
— Je crois que oui, sire, répondit Montpezat. Je viens de lui donner un petit coup dans la poitrine avec le fourreau de mon épée et il s’est affaissé.
Il souleva la tête du duc et ajouta :
— Regardez, sire, il a la couleur de la mort.
Alors seulement Henri découvrit le fils du cardinal de Bourbon devant la porte de l’oratoire, épée en main, le visage décomposé
par ce qu’il venait de voir.
— Monsieur Poulain! Vous étiez avec eux? s’étonna-t-il.
— N… Non… J’ai entendu du bruit, sire, j’ai… accouru de ma chambre… J’ai cru que c’était vous, balbutia-t-il tandis que les conjurés le regardaient, goguenards.
Ses jambes flagellaient. Il se fût écroulé, vaincu par l’émotion, si Alphonse d’Ornano ne l’avait pris amicalement par l’épaule.
En le voyant ainsi, le roi eut un petit sourire bienveillant.
— Je voulais vous éviter ce spectacle, dit-il.
Il ne s’intéressa plus à Poulain et s’approcha du cadavre de son ennemi. Il le contempla longuement avant de dire :
— Mon Dieu qu’il est grand! Il paraît plus grand encore mort que vivant!
Puis il se tourna vers ses fidèles.
— Merci mes amis, mais tout n’est pas terminé… Poulain, puisque vous êtes là, passez par l’escalier de derrière et allez prévenir Richelieu. Il sait ce qu’il doit faire. Vous reviendrez ensuite au plus vite.
Dans la salle du conseil, le cardinal de Guise avait entendu du bruit, puis reconnu la voix de son frère. À ses premiers cris
et ceux des assassins, il s’était levé, affolé, en lançant :
— Voilà mon frère qu’on tue!
Voulant sortir chercher de l’aide, il en fut empêché par le maréchal d’Aumont qui tira son épée.
— Qu’homme ne bouge, s’il ne veut mourir! cria-t-il.
En même temps, le marquis d’O s’était levé et avait ouvert la porte à Larchant et à ses archers qui envahirent la salle, prévenant
tout mouvement d’hostilité. On le devine, ce n’était pas pour se plaindre de ne pas recevoir leurs gages que les gardes avaient
été si nombreux à l’arrivée du duc, ce prétexte n’avait été qu’une ruse de plus du roi pour éteindre la méfiance du Lorrain.
L’assistance étant maîtrisée, le roi entra entouré d’Alphonse d’Ornano et de Montpezat, et à leurs visages soulagés chacun
devina que le duc de Guise était mort.
— Messieurs, j’ai fait justice en prévenant le dessein que M. de Guise avait contre moi, déclara solennellement Henri III. J’avais oublié l’offense reçue le jour où je fus contraint de m’enfuir de Paris, mais j’avais des preuves qu’il menaçait mon pouvoir, ma vie et mon État. Je me suis résolu à cette action que j’ai longuement débattue enmoi-même, souhaitant de ne pas souiller mes mains de son sang.
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