La ville qui n'aimait pas son roi
jeune homme cruel – ce n’était pas pour rien
qu’on le surnommait l’homme de proie –, ambitieux et pressé. Joyeuse et Épernon étaient ses modèles. Tous deux avaient été
gentilshommes de la chambre à dix-sept ans, lui à seize. Il avait maintenant vingt-deux ans, et à cet âge les deux archimignons
étaient déjà duc et pair. Il briguait les mêmes honneurs et était prêt à tout pour les obtenir. Les barons de Laugnac, se
répétait-il, étaient d’aussi bonne noblesse que les obscurs La Valette 1 et le duché d’Épernon avait été une simple baronnie. Mais pour passer de baron à duc, il savait qu’il devrait rendre un service
considérable à Henri III.
Quand le roi lui avait fait part de sa décision de tuer le duc de Guise, Montpezat avait compris que la chance lui faisait
signe. Il avait assuré Henri III qu’il s’occuperait de tout.
— Mes amis, commença Henri III d’une voix basse mais solennelle, vous avez éprouvé les effets de mes bonnes grâces, ne m’ayant jamais demandé aucune chose dont vous ayez été refusés. Vous êtes mes obligés par-dessus toute ma noblesse. Maintenant je veux être le vôtre en une urgente occasion où il y va de mon honneur, de mon état et de ma vie.
Il fit une légère pause en les regardant individuellement à tour de rôle, puis il haussa légèrement le ton.
— Vous savez tous les insolences et les injures que j’ai reçues du duc de Guise depuis quelques années. Son intention est de tout bouleverser pour prendre ses avantages, ma personne et disposer de ma couronne et de ma vie. J’en suis réduit à telle extrémité qu’il faut que ce matin il meure, ou que je meure. Voulez-vous me promettre de me servir et m’en venger en lui ôtant la vie?
Sourdement, tous s’y engagèrent d’une seule voix, et Sariac, l’un des quarante-cinq réputé plus brigand que gentilhomme, ajouta en frappant sa main contre la poitrine du roi.
— Cap de Diou, sire, iou bous le rendis mort!
Son engagement en gascon fit sourire les autres malgré la tension qui régnait. Henri III leur demanda alors de garder silence
et vérifia qu’ils avaient tous un long poignard, en distribuant même à ceux qui n’avaient qu’une épée, expliquant qu’une rapière
les gênerait. Ensuite, Montpezat montra à chacun la place qu’il occuperait. Une dizaine d’entre eux attendraient dans le cabinet
vieux. Ornano resterait avec un groupe d’ ordinaires dans la salle de la tour du Moulin qui communiquait avec le cabinet vieux, tandis que Montigny, Bellegarde et Montpezat demeureraient
dans la chambre du roi, où Guise ne serait pas surpris de les voir puisqu’ils étaient gentilshommes de la chambre. Quand tout
fut prêt, les quarante-cinq remontèrent silencieusement dans les cellules du troisième étage et les appartements du roi redevinrent
totalement silencieux.
À sept heures, les secrétaires d’État arrivèrent pour le conseil. Puis ce furent le maréchal d’Aumont et le duc de Retz en
compagnie de son frère le cardinal de Gondi. François d’O arriva avec M. de Rambouillet. Il pleuvait et tous étaient mouillés.
Ils se rassemblèrent devant la cheminée pour se réchauffer. Dehors, Larchant avait rassemblé sa garde au grand complet, ce
qui était inhabituel.
Le Balafré avait passé la nuit avec Mme de Sauves. Entre deux étreintes, la dame d’honneur de la reine l’avait conjuré de quitter Blois
au plus vite. Le roi lui voulait du mal, répétait-elle. Elle le savait, ayant surpris des conversations chez la reine mère.
Guise la laissa parler. Elle aussi était abusée par Henri III et peut-être même par Catherine de Médicis, se disait-il. Il
regrettait de ne pouvoir lui dire que dans quelques heuresle roi de France aurait abdiqué et que, dans l’après-midi, il serait proclamé roi à sa place par les États.
Pauvre homme! S’il avait su que dans quelques heures il ne serait nullement dans la salle des États, ovationné par les députés, mais dans une cave de la tour du Moulin, froid et mort, sur le point d’être découpé en quartiers par un boucher sous le regard sévère du Grand prévôt.
Le duc rentra dans son appartement vers trois heures du matin. À sept heures, on dut le réveiller, tant il dormait profondément, épuisé par sa nuit d’amour! On lui annonça que le conseil était assemblé et n’attendait que lui. Il s’habilla à la hâte d’un costume de satin
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