La ville qui n'aimait pas son roi
d’entrer, ce monstre devait lui confier un secret!
— Où est-il? s’enquit Richelieu.
L’autre lui désigna le cabinet.
Le Grand prévôt s’y rendit et l’ouvrit. Il y avait un corps ensanglanté. La tête meurtrie avait une courte barbe noire et
une tonsure en couronne. Poulain l’examina à son tour. Il était on ne peut plus mort, tailladé de toutes parts. Dommage qu’on
ne l’ait pas laissé vivant, songea-t-il, s’interrogeant sur les complicités nécessaires pour parvenir dans la chambre du roi.
Il chassa une image qui lui revenait : le procureur général Jacques de La Guesle, cuirassé et casqué, avec des ligueurs durant
la journée des barricades.Mais il est vrai qu’il n’était pas le seul bourgeois à vouloir défendre les privilèges de Paris ce jour-là.
— Jetez ce chien par la fenêtre! ordonna Richelieu.
Le chef des quarante-cinq s’en chargea.
Olivier était resté près du lit, écoutant ce qui se disait. Il fallait qu’il prévienne le roi de Navarre, mais il voulait
lui apporter des informations précises sur l’état de santé du roi.
M. de Portail, le premier chirurgien, avait fini de sonder la plaie. Il s’écarta avec le médecin qui l’assistait et dit en
latin :
— Intestinus perforatus est. Ad sublevandum dolorem ei lavamentum adhibendum est 2 .
Olivier s’approcha de lui et lui demanda, en latin lui aussi :
— Quam grave vulnus est 3 ?
L’autre le dévisagea, le regard interrogatif, se demandant qui était ce gentilhomme qui parlait si bien latin. Il lui répondit
tristement, dans la même langue.
— Quomodo rex salvari possit, equidem non video 4 .
M. de Bellegarde et M. d’Épernon avaient entendu le dialogue sans le comprendre en totalité. Ils interrogèrent Olivier qui,
les larmes aux yeux, leur en fit la traduction.
Épernon, l’archimignon pourtant toujours si dur et si arrogant, parut s’affaisser. Était-ce parce qu’il venait de tout perdre lui aussi, ou par sincère affection pour le roi? De grosses larmes coulèrent sur ses joues.
On n’entendait plus que des sanglots quand soudain le roi se mit à prier à haute voix.
— Mon Dieu, maintenant que je me vois dans les dernières heures de mon être, je demande à votre miséricorde divine d’avoir soin du salut de mon âme; et comme vous êtes le seul juge de nos pensées, le scrutateur de nos cœurs.Vous savez, mon Seigneur que rien ne m’est si cher que la vraie religion catholique, apostolique et romaine, de laquelle j’ai
toujours fait profession.
Olivier n’entendit pas la suite. Si le roi était perdu, Navarre devait être prévenu sans attendre. Il dit un mot à Nicolas
et sortit.
Dans l’antichambre, il aperçut un gentilhomme qu’il connaissait vaguement, lui ayant parlé plusieurs fois à Tours. Il lui
demanda s’il savait où était Navarre, l’autre lui répondit : « À Meudon. »
Il lui dit en quelques mots ce qui s’était passé, quel était l’état du roi et le supplia de le guider jusqu’au roi de Navarre.
L’autre accepta.
Ils galopèrent à épuiser leurs chevaux. En chemin, Olivier songeait à l’avenir. Qu’allait devenir l’armée loyaliste si le roi mourait? Combien de ses officiers, de ses capitaines, de ses gentilshommes allaient reconnaître le roi de Navarre comme roi de France? Il y aurait forcément des défections. Ceux-là rejoindraient-ils la Ligue, ou se retireraient-ils seulement? Comment allait se comporter ce papiste de duc de Nevers qui avait toujours balancé entre le roi et Guise? Épernon, O, Aumont, et bien d’autres, allaient-ils accepter un roi de fer qui ne les comblerait pas de récompenses mais ne leur proposerait que des batailles sans rapines ou pillages? Quel que soit le nombre des départs, une grande partie de l’armée allait abandonner le nouveau roi qui n’aurait d’autre choix que de lever le siège de Paris. Échouer si près du but à cause de ce moine! Sans compter que les Parisiens allaient fêter ce crime comme une victoire et tenteraient maintenant de s’attaquer à Henri de Navarre. Il se promit de tout faire pour le protéger.
Henri de Bourbon venait de partir pour le Pré-aux-Clercs où se déroulait une violente escarmouche. Olivier le rattrapa. Rosny
était avec le roi de Navarre, ce qui lui permit de l’approcher sans peine. La voix brisée par l’émotion, il lui annonça la
terrible nouvelle. Le Béarnais resta un instant sous le choc avant
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