La ville qui n'aimait pas son roi
vais me retirer, car je quitte La Rochelle demain matin à l’aurore. Auparavant, j’aurais souhaité vous parler un moment dans ce petit cabinet.
Il désigna une porte.
Cassandre, qui ne s’était pas levée avec les autres femmes, avait entendu.
— Mon époux partage tous ses secrets, reprocha-t-elle à Rosny, d’un ton taquin mais suffisamment ferme pour que les deux hommes comprennent qu’elle ne se laisserait pas écarter.
Une ombre fugitive brouilla les traits de Rosny qui se contraignit à sourire.
— Venez donc avec nous, madame.
Le cabinet n’avait que de minuscules fenêtres et l’orage qui grondait obscurcissait totalement le ciel aussi le baron avait-il
pris une lampe à huile de noix. Il y avait deux bancs l’un en face de l’autre dans le cabinet. Rosny s’installa sur l’un et
les mariés sur l’autre.
— Je ne sais pas quand nous nous reverrons, mes amis, commença le baron, embarrassé.
Olivier hocha la tête, intrigué.
— Mgr de Navarre m’a expliqué pourquoi vous vouliez vous rendre à Paris, monsieur de Fleur-de-Lis.
Remarquant la gêne de Rosny, Cassandre déclara :
— J’accompagnerai mon époux à Paris, baron. Le prince était mon frère, si sa femme n’est pour rien dans sa mort, il est légitime que je recherche son assassin.
— Décidément, M. de La Rochefoucauld ne se trompait pas quand il vous attribuait le cœur d’une fière lionne,madame. Je vous supplie de m’accorder votre indulgence… quant à ce que je vais… alléguer, maintenant.
— Soyez sans crainte, sourit-elle. Vous êtes mon ami.
— J’avoue ne guère croire à cette histoire d’espionnage impliquant Urbain de Laval, et je voulais vous mettre en garde, tous les deux…
— En garde?
— Oui, contre celui qui est selon moi le seul responsable de la tentative d’assassinat de monseigneur à Nérac, et aussi du crime de Saint-Jean-d’Angély….
Olivier resta sans voix tant il s’inquiétait du nom qu’allait prononcer le baron.
— Je ne vous apprendrai rien… Il s’agit du comte de Soissons, dit Rosny en regardant Cassandre d’un air inquiet.
Elle resta impavide et Olivier se sentit très mal à l’aise.
— Peste! C’est une très grave accusation, monsieur le baron, dit-il enfin.
— Je le sais, mais vous n’ignorez pas que c’est aussi ce qu’a pensé un temps Mgr de Navarre.
— Olivier me l’a confié, baron, intervint Cassandre. Je ne sais qu’en dire, car je ne connais pas suffisamment le comte.
— Moi, je le connais, madame. Excusez ma franchise, mais j’affirme que c’est un homme mauvais et dissimulé qui rêve du trône en écartant ceux qui pourraient y prétendre.
— Mais de là à tuer son frère, monsieur le baron! Vous n’avez pas le moindre début de preuve, lui reprocha Olivier.
— J’en ai une grâce à vous! Urbain de Laval – Boisdauphin –, dont vous avez découvert la venue à Saint-Jean-d’Angély, a été un gentilhomme de Soissons.
— En êtes-vous certain?
— C’était il y a deux ou trois ans.
— Tuer son propre frère, tout de même, fit Olivier en secouant la tête.
— Relisez donc la Bible! répliqua sèchement Rosny, et surtout songez qu’ils ne se connaissaient guère et n’éprouvaient aucune affection l’un pour l’autre. D’ailleurs, vit-on jamais des frères si différents? Condé, protestant rigide, est toujours resté près de Navarre, tandis que son cadet François de Conti a été élevé dans la religion catholique par le cardinal de Bourbon, tout comme Charles de Soissons son demi-frère. Observez d’ailleurs comme ces deux-là se ressemblent peu : Soissons est hautain, peu prévenant et fier de sa race. Son ambition est démesurée et son esprit aveugle, tandis que Conti est insignifiant, sourd et quasiment muet, Dieu nous garde qu’il devienne roi!
Olivier restait dubitatif tout en ressentant une sourde inquiétude. Il se tourna vers Cassandre qui paraissait abîmée dans ses réflexions. Si le baron ne se trompait pas, devrait-elle venger l’un de ses frères en punissant l’autre?
— Supposons que mon demi-frère Soissons soit pour quelque chose dans la mort du prince, sa femme serait lavée de tout soupçon… dit-elle, enfin.
— Ce n’est pas aussi simple. Le père de la princesse, Louis de La Trémoille, était un zélé catholique. Si son fils s’est sincèrement converti, rien ne dit que sa fille ne soit pas restée secrètement
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