La Violente Amour
me faisant signe
de la main de m’asseoir sur un coffre qui se trouvait un peu en retrait dans
une encoignure de fenêtre, s’asseyant quant à lui, ainsi que ses conseillers,
autour d’une table de noyer qui se trouvait là, mais pour peu de temps, car
retrouvant sa naturelle impatience, dès que la conversation vint à s’animer, il
se leva et sur ses courtes et musculeuses gambes, marcha qui-cy qui-là dans la
pièce comme il faisait toujours, à’steure les deux mains liées derrière le dos,
à’steure se tirant de la dextre le nez, qu’il avait courbe et long, comme s’il
eût voulu l’allonger encore, et parlant par-dessus son épaule, la plupart du
temps en saillies, encore que son œil soucieux démentît sa lèvre gaussante.
— Sire,
dit le maréchal de Biron, qui parla le premier, il n’y a plus à en douter :
ce que nous redoutions depuis trois mois a fini par échoir. Le duc de Parme,
laissant là les Flandres, sur l’ordre répété de Philippe, est venu apporter le
secours d’une armée espagnole au duc de Mayenne à Meaux.
— Nous
verrons donc à la parfin, dit le roi avec un sourire moqueur, si le gros duc a
du sang aux ongles, car jusque-là, sans le rescous des Espagnols, il n’osait
pas nous attaquer. A-t-on reconnu combien Parme avait d’hommes ?
— 13 000
environ, Sire, dit Biron, dont 3 000 cavaliers et 10 000 fantassins.
— Pour
l’infanterie des Espagnols, dit le roi après un moment de silence, elle est
bonne et brave. Ils y ont tout leur cœur, et pour ne vous en mentir point, je
la crains. Mais leur cavalerie est faible. Et je me fie en Dieu et en ma
noblesse et cavalerie française, que les plus grands diables même craindraient
d’affronter.
Il y eut parmi
les présents de grands hochements d’approbation à ouïr cela, nul d’entre eux
n’ignorant que si le duc de Parme était le meilleur stratège de son temps (encore
qu’il commandât ses troupes de sa litière, étant perclus de douleurs) Navarre
savait mieux que personne entraîner et enlever sa cavalerie, comme il avait
fait si bien à la bataille d’Ivry, où, à elle seule, elle avait fait la
décision.
— Il faut
donc, dit le maréchal de Biron, lequel était fort noir d’œil, de poil et de
peau, et parlait d’une voix brève et décisoire, il faut donc lever incontinent
le siège, et rassemblant nos troupes éparpillées tout autour de Paris, courir
sus au duc de Parme et au gros duc.
La silence qui
suivit ces paroles fut longue et lourde, car aux vaillants qui étaient là le
cœur pesait comme plomb à la pensée de lever le siège et de perdre toutes les
grandes peines auxquelles on s’était mis, ces quatre mois écoulés. N’allait-il
pas, en effet, sans dire qu’à peine le roi départi de devant Paris, la bonne
ville serait, et par eau, et par terre, de toutes parts envitaillée, tant est
qu’il faudrait un nouveau siège, et hélas ! une nouvelle famine, pour en
venir à bout.
— Eh
bien, La Noue ? dit le roi, comme pour inviter à parler à son tour le
grand capitaine, lequel je dévorais de l’œil, car, chose étrange, combien qu’il
eût combattu comme moi à Ivry, je ne l’avais jamais approché de si près. Se
peut aussi pour ce qu’au temps où j’étais à la Cour de Henri III, il avait
été prisonnier des Espagnols.
La Noue avait
alors quarante-neuf ans, la membrature sèche et carrée, la face mâle et des
yeux francs où se lisait son pur et simple cœur dont la fidélité à la cause
huguenote et au roi était connue de tous, aussi ferme et impénétrable que son
bras senestre, lequel était façonné de fer lorrain, son bras de chair ayant été
emporté à Fontenay-le-Comte.
— Sire,
dit La Noue d’une voix douce après un salut courtois à Sa Majesté et à Biron,
avec tout le respect que je dois à M. le Maréchal, j’opine tout le rebours de
son opinion : à savoir qu’il ne faut pas déloger de devant Paris, de peur
de perdre tout le bénéfice de ce long et pénible siège, mais attendre que
l’armée des ducs se soit engagée dans le passage d’une rivière pour l’attaquer.
— Hérésie !
s’écria le maréchal de Biron dont on voyait bien à son ton abrupt et à son œil
enflammé, qu’il se souciait, lui, fort peu de courtoisie ; hérésie,
Monsieur de La Noue, que condamnent toutes les lois de la guerre ! Primo, pour ce que c’est un principe sacro-saint que nous devons toujours
aller chercher notre adversaire au
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