La Violente Amour
Henri, confirmant Brissac, selon la
promesse que je lui avais faite en son nom, dans la dignité que le comte avait
gagnée en se rebellant contre lui.
S’avança alors
le prévôt des marchands L’Huillier qui me ramentut mon cher L’Étoile par
l’espèce de dignité amère et d’honnêteté outragée qui se lisaient sur ses
traits. Il était vêtu de ses robes d’apparat et portait de ses deux mains un
carreau de velours rouge.
— Sire,
dit-il, plaise à Votre Majesté de recevoir les clés de votre bonne ville de
Paris qui se remet, ce jour, entre vos mains, en toute obéissance et
soumission.
À cela
Brissac, ès qualité de gouverneur en Paris, crut bon, lui qui parlait si peu,
d’ajouter deux mots, qui hélas pour lui, furent deux mots de trop :
— Il faut
rendre à César ce qui appartient à César, dit-il de sa voix nasale et
traînante.
— Il faut
le lui rendre, mais non le lui vendre, dit L’Huillier en lui jetant un regard
indigné.
Phrase qui
amena qui-cy qui-là quelques sourires, nul n’ignorant que Brissac avait touché
des sommes énormes pour la reddition de Paris.
— Ne
dirait-on pas que ce L’Huillier est tout vinaigre ? dit La Surie à mon
oreille.
Cependant, le
roi contrefeignant de n’avoir pas ouï la remarque du prévôt des marchands, lui
fit un gracieux merci pour les clés de Paris, promettant d’en user dignement et
pour le plus grand bien des bourgeois et habitants de la bonne ville. Puis il
envoya un officier dire à l’archidiacre qu’il voulait tout de gob ouïr la messe
à Notre-Dame, et dépêcha M. de Saint-Paul au duc de Feria pour lui mander
d’avoir à quitter Paris avec sa garnison, ses armes et ses bagues sur le coup
de trois heures par la porte Saint-Denis et qu’il lui baillerait un
sauf-conduit et une escorte pour le raccompagner à sa frontière des Flandres.
Ayant fait, il
m’avisa, parlant à M. de Saint-Luc, et m’ayant fait signe de venir à son
étrier, il me dit :
— Barbu,
va prévenir mes bonnes cousines les princesses lorraines que je les viendrai
visiter sur le coup de six heures en l’hôtel de Montpensier.
Et tout
soudain, prenant un air songeard et rêveux, lui qui l’était si peu, il se
tourna vers son chancelier et lui dit, l’œil comme ébloui :
— Monsieur
le Chancelier, dois-je croire à votre avis que je sois bien là où je
suis ?
— Sire,
dit le chancelier, je crois que vous n’en doutez pas.
— Je ne
sais, dit Henri, car tant plus j’y pense et tant plus je m’en étonne.
Ayant dit, il
se mit en route, suivi de ses seigneurs et de sa garde, et fort lentement, par
la grand’rue Saint-Honoré pour ce que les Parisiens, ayant sailli de leur logis
pour le voir, il se trouva pressé d’une grande multitude de peuple, d’aucuns
même approchant de lui jusqu’à l’étrier, baisant ses pieds et son cheval et
criant :
— Vive le
roi ! Vive la paix ! Vive la liberté ! et autres acclamations
joyeuses, ces bonnes gens riant, pleurant, dansant, s’entrebaisant, tandis que
la même petite pluie fine tombait du même brouillard de ciel qui de blanc était
devenu sale, tant est que jamais jour plus grisâtre fut salué de plus de liesse.
Comme pour
ajouter à la noise et vacarme des vivats, toutes les cloches des églises de
Paris se mirent à sonner ensemble, ce qui, à vue de nez, paraissait bien
surprenant, les curés de ces églises étant pour la plupart ligueux. Mais il est
à croire que d’aucuns de leurs paroissiens trouvant l’occasion bonne de secouer
leur domination tatillonne, leur avaient forcé la main.
L’allégresse
de la commune devint délirante, quand il fut clair pour elle, ce cortège
tournant à droite par le pont Notre-Dame, que le roi se rendait à la cathédrale
pour y ouïr la messe. Je crus n’avoir rien ouï jusque-là, tant la clameur du
peuple devint assourdissante. Si bien que le roi voyant les vivats redoubler,
dit tout haut :
— Je vois
bien que ce pauvre peuple a été tyrannisé.
Arrivé devant
le parvis, le roi ayant mis pied à terre se trouva tant pressé par la foule
qu’il fut littéralement soulevé par elle. Ce que observant ses capitaines des
gardes, ils le voulurent dégager. Mais le roi les en empêcha :
— Laissez !
Laissez ! dit-il. J’entends bien qu’ils sont affamés de voir un roi.
Pour moi,
n’entendant pas aller à contrainte, comme nous disions sous Henri
Troisième, du moins plus qu’il n’était nécessaire, je
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