La Violente Amour
auteurs véritables,
lesquels, s’ils ne sont pas nommés, sont clairement désignés. Je ne m’étonne
point que le roi ait fait faire des copies de cette lettre pour la communiquer
aux principaux de ce royaume, tant ladite lettre, du moins en cette partie,
était plus politique que privée, et destinée d’évidence à ruiner dans l’opinion
le beau renom de la soi-disant Sainte Ligue en montrant son hypocritesse
cruauté et son exécrable abus des choses de la religion.
— Siorac,
dit le Grand Prieur, je ne l’eusse pas dit aussi précisément que vous, mais je
sentis fort bien en revanche, au moment où Henri dicta cette lettre, que si l’homme
en lui pâtissait prou, il ne parlait point en ce qu’il disait à la reine en
homme, mais dépassant son dol, en roi, comme il fit d’un bout à l’autre avec
Navarre, quand celui-ci advint.
Lecteur,
plaise à toi de me laisser prendre ici le relais du Grand Prieur pour ce
qu’ayant, moi aussi, été présent à cette scène, qu’on peut bien appeler
mémorable, entre le roi mourant et son héritier, je l’ai vue et ouïe d’une part
comme un très fidèle serviteur de mon bien-aimé maître (ayant pour le servir, calé la voile et fait profession de papisme) et d’autre part, comme
huguenot de cœur, sinon tout à fait d’Église, et fort attaché aux intérêts de
mes frères persécutés, même si je ne désirais pas que leur fussent sacrifiés
ceux du royaume, mais au rebours, les voir ensemble s’accommoder : ce qui
était le but même du roi, comme de Navarre.
M. de
Ventajoux et moi-même eûmes fort à faire pour trouver Navarre, lequel nous
encontrâmes escarmouchant au faubourg Saint-Germain et quasi sous les remparts
de Paris, tâchant de se saisir du Pré-aux-Clercs, dont il pensait apparemment
tirer avantage pour procéder plus outre contre les murailles. Dès le premier
mot que lui glissa M. de Ventajoux à l’oreille, Navarre tressaillit, mais se
reprenant tout de gob, il dit à M. de La Trémoille, qui était le maître de sa
cavalerie légère, de ne pas pousser le chamaillis plus outre, mais de retirer
les troupes en bon ordre dès qu’il serait parti, ayant quant à lui affaire au
roi à Saint-Cloud. Là-dessus, il tourna bride, et sans autre escorte qu’une
dizaine de ses gentilshommes, donna des éperons et galopa son cheval à tel
ventre à terre que même ma Pégase – comme j’appelais la jument que j’avais
acquise à Châteaudun – eut du mal à le suivre, sans parler ici du pauvre
Ventajoux qui fut impiteusement distancé, son hongre étant gras et mal allant.
Il était vers
les onze heures quand Navarre eut l’entrant chez le roi, lequel me parut avoir
en mon absence fort changé, et de face, et de voix, la première étant
travaillée par le pâtiment et la seconde détimbrée, quoique ferme. J’observai
aussi que, par instants, il se donnait peine pour reprendre son vent et
haleine, et pour moi, quérant à voix basse du révérend docteur Le Febre si on
lui avait baillé lavement, celui-ci me dit que oui, hélas (y étant hostile tout
comme moi), et que le roi n’en avait rejeté que la moitié, preuve, ajouta-t-il
en latin d’un air chagrin, que Portail avait raison, que l’intestin était percé
et l’issue, par conséquent, fatale.
Le roi
présenta la main à Navarre, lequel s’étant génuflexé, la baisa et de tout
l’entretien, resta sur un genou, ne voulant point par respect s’asseoir sur une
escabelle que sur un signe de Sa Majesté Du Halde lui avait avancée.
— Mon
frère, dit Sa Majesté, vous voyez comment mes ennemis, qui sont aussi les
vôtres, m’ont traité. Prenez garde qu’ils ne vous en fassent autant.
— Sire,
dit Navarre, je suis bien marri de vous voir ainsi accommodé. Mais les médecins
disent que vous monterez à cheval dans dix jours.
— Dieu
les entende, dit le roi, mais s’il ne les entend pas, ce sera à vous, mon
frère, d’exercer le droit de succession que j’ai tant travaillé à vous
conserver. Le fruit de ces efforts, c’est l’état où vous me voyez : ma
navrure et quasi ma mort. Cependant, je ne le regrette en aucune guise (il
sourit fugitivement en prononçant le mot guise) la justice dont j’ai été le
protecteur en ce royaume, voulant que vous me succédiez. Toutefois (il reprit
souffle sur ce « toutefois » et envisageant Navarre d’un air grave,
il ajouta) : Mon frère, vous aurez beaucoup de traverses, si vous ne
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