La Violente Amour
même en doutance de la pronostique de
Portail, tant le roi paraissait peu pâtir et parlait d’une voix ferme, haute et
articulée, ce qu’il fit après la messe, dite devant lui par son aumônier
Boulogne, adressant alors devant tous une prière à son Créateur qui frappa les
assistants tant par la noblesse de ses sentiments que par cette élégance de
langage à laquelle Henri s’était toute sa vie exercé, y voyant un attribut
véritablement royal – le premier des Français devant, selon lui, parler le
français à tout le moins aussi bien que les mieux disant de ses sujets.
— J’ai
ouï parler prou de cette prière publique, Monseigneur, mais sans qu’on m’en
citât les paroles.
— Ha !
je me les ramentois ! dit le Grand Prieur car je les trouvai fort belles,
mais n’ose présumer de les citer correctement, sinon que je suis assuré assez
du début qui commençait par ces mots : « Mon Dieu, mon créateur et
rédempteur, maintenant que je me vois dans les dernières heures de mon être, si
vous connaissez que ma vie soit encore profitable à mon peuple et mon État, je
vous prie d’en prolonger les jours. Sinon, disposez-en, selon que vous le
trouverez plus à propos pour l’utilité générale de ce royaume et le salut
particulier de mon âme, laquelle proteste ici que toutes ses volontés sont
d’avance résignées aux décrets de votre Éternité… »
« Ha !
Siorac, à voir alors la face du roi qui, quoique fort pâle, n’était travaillé
d’aucune inquiétude, à ouïr sa voix, comme à son accoutumée, si ferme et si
suave, on eût jugé qu’il ne pâtissait aucunement en sa chair :
circonstance qui donna à tous ceux qui étaient là tant d’espoir mêlé à tant de
désespoir qu’ils ne purent brider leurs pleurs davantage. De quoi Sa Majesté
s’apercevant, elle sourit avec sa coutumière bénignité et dit :
— Je suis
marri d’avoir affligé mes serviteurs.
Et incontinent
demanda à Du Halde de lui servir de secrétaire pour ce que, ses dévotions
faites, il voulait dicter une lettre à la reine Louise.
— Dont je
n’eus pas, dis-je, connaissance.
— Dont,
la Dieu merci, Siorac, je possède une moitié, le roi, après qu’elle fut dictée,
commandant qu’on en fît des copies pour les dépêcher à d’aucunes personnes de
conséquence en ce royaume. Une de ces copies, je ne sais pourquoi, resta
inachevée (raison sans doute pour laquelle elle ne fut pas envoyée) et c’est
elle qu’à mon instante prière et supplication, Du Halde me donna après la mort
du roi, laquelle je conserve comme mon trésor le plus précieux et d’autant
qu’elle est la partie la plus signifiante de la missive, la deuxième moitié que
j’ouïs quand le roi la dicta n’étant que le récit de l’attentement, lequel,
pour notre male heure, nous est si bien connu.
— Guimbagnette,
poursuivit le Grand Prieur en s’adressant à son majordomo qui, assis en
un coin de la chambre sur une escabelle, nous oyait, l’œil baissé et la mine
chagrine, baille-moi ladite lettre.
Ce que fit
Guimbagnette, les larmes roulant sur ses grosses joues, après qu’il eut retiré
ladite lettre d’un coffret d’argent.
— Je vous
la lis, Siorac, dit le Grand Prieur, et soit qu’il le voulût faire, soit qu’il
le fît sans le vouloir, imita en cette lecture, le ton et l’articulation de mon
bien-aimé maître, imitation si saisissante en sa vérité que j’en restai un
moment sans voix.
— « Mamie,
disait le roi (car je crus véritablement l’ouïr derechef en cette
ressuscitation), après que mes ennemis ont vu que tous leurs artifices s’en
allaient dissipés par la grâce de Dieu, et qu’il n’y avait plus de salut pour
eux qu’en ma mort, sachant bien le zèle et la dévotion que je porte en la
religion catholique, et l’accès et libre audience que je donne à tous religieux
ou gens d’Église, quand ils veulent parler à moi, ils ont pensé n’avoir point
de plus beau moyen pour parvenir à leur malheureux dessein que sous le voile et
l’habit d’un religieux, violant, en cette maudite conspiration, toutes les lois
divines et humaines et la foi qui doit s’attacher à l’habit d’un
ecclésiastique. »
— Ha !
dis-je, c’est, comme à l’accoutumée, bien pensé et bien dit. L’infamie d’avoir
fait usance d’un moine en cette meurtrerie étant avec force stigmatisée, et la
dénonciation de l’attentement remontant jusqu’à ses
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