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La Volte Des Vertugadins

La Volte Des Vertugadins

Titel: La Volte Des Vertugadins Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Robert Merle
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l’on m’avait dépossédé de mon logis. Il est vrai qu’étant
habitué, comme je l’étais, à me coucher tôt, je commençais à me ressentir de la
longueur de cette nuit. J’eusse d’autant plus aimé m’asseoir qu’en l’absence du
Roi, enfermé en le cabinet vieil avec ma bonne marraine, on ne dansait pas et
je me retrouvai seul, ni mon père ni La Surie, ni Bassompierre ni Joinville
(celui-là se baignant encore les yeux, à ce que j’imaginais) n’étant là pour me
présenter à quelque beauté qui eût consenti à m’accorder la danse que l’on
attendait.

Je fis tout le tour de la grand’salle en longeant les murs,
tant pour tâcher de rencontrer mes mentors que pour trouver un siège
secourable, et je faillis dans les deux cas. Je ne les vis nulle part, et pas
un tabouret n’était libre : il faut croire que ma lassitude était bien
partagée. J’observais, du reste, plus d’une dame qui avait en tapinois enlevé
ses souliers et cachait ses pieds tourmentés sous l’ourlet de son vertugadin.
    Ayant fait ainsi tout le tour de la salle, je revins à la
fin à mon point de départ et, à ma grande surprise, trouvai, assise sur le
tabouret que je considérais déjà comme le mien, Noémie de Sobole, le cheveu
flamboyant, le teint animé et une petite lueur dans son œil vert qui me donna
fort à penser.
    — Eh quoi, Madame ! dis-je, assise ! Comment
diantre avez-vous fait ?
    — Le gentilhomme qui était là m’a cédé sa place.
    — De son propre mouvement ?
    — Non point. Il m’a fallu quelque peu feindre de me
pâmer.
    — Vous a-t-il crue ?
    — À moitié. Force me fut de lui promettre une danse et
un baiser.
    — Tiendrez-vous votre promesse ?
    — Je ne crois pas. Il sent terriblement l’ail. Et, pour
tout dire, c’est vous que j’attendais.
    — Moi, Madame ? C’est une si charmante pensée et
un si grand honneur que j’aimerais bien savoir comment la première vous a
conduite au second.
    — Qu’est-ce donc qui vous autorise à tant de
méfiance ?
    — La connaissance que j’ai de vous.
    — Monsieur, votre insolence mériterait un soufflet.
    — Vous ne pouvez me le bailler : vous êtes assise,
et moi debout.
    — Vramy ! Je n’aurai jamais le dernier mot avec
vous ! Je vais donc tout vous dire. J’ai appris que la prochaine danse
sera la courante de Vendée et que le Roi, qui ne la dansera pas,
donnera, en revanche, un prix de cent écus au couple d’amoureux qu’il aura
trouvé le plus comique.
    — Comment l’avez-vous su ?
    — Je me suis appuyée avec tendresse contre la
bedondaine de Monsieur de Réchignevoisin.
    — Vous avez dû vous enfoncer beaucoup.
    — Passablement. Mais j’ai su ce qui se préparait.
    — Je ne savais pas que Monsieur de Réchignevoisin était
si raffolé des femmes.
    — Mais il ne l’est pas. Il les a en horreur. Il ne m’a
tout dit que pour que je m’en sauve, ne pouvant plus supporter mes rondeurs,
les siennes lui suffisant.
    — Je connais votre majeure, je connais votre mineure,
j’attends votre conclusion.
    Ce recours au syllogisme me parut à moi-même un peu bien
jeunet et pédant. Mais je tâchais seulement d’attraper la pécore, car je la
sentais qui me glissait comme anguille entre les doigts.
    — Eh bien, voici, Monsieur, qui va vous satisfaire. Si
vous me demandiez cette danse, je serais assez bonne pour vous l’accorder.
    — Votre mineure est fausse : je ne vous la demande
pas.
    — Monsieur !
    — Il n’y a pas offense, Madame : vous êtes la
beauté même. Mais pourquoi me mentir encore ? Vous êtes la demanderesse,
l’évidence est criante.
    — Moi, je feins ?
    — Vous vous pâmez pour avoir mon tabouret. Vous me
menacez faussement d’un soufflet. Vous contreséduisez Monsieur de
Réchignevoisin et, m’ayant cherché partout, vous faites semblant de croire que
je ne me cachais derrière ma plante verte que pour vous inviter.
    — Jour de Dieu ! Comme vous y allez ! Quel
caquet est le vôtre ! Allons ! Autant être franche !
    — C’est le meilleur parti, Madame, dès lors qu’on ne
peut faire autrement…
    — Monsieur, je ne peux croire que vous n’ayez que
quinze ans. Vous avez tant d’esprit.
    — Pas tant que cela. À peu que votre petit compliment
n’ait flatté ma gloriole au point de me jeter à vos pieds.
    — Mettez-vous-y, de grâce !
    — Je ne m’y mettrai, soyez-en assurée, que pour
trousser votre cotillon.
    — Ah !

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