La Volte Des Vertugadins
moi, rapprochant alors nos têtes, nous
conciliabulâmes de bouche à oreille comme larrons en foire et convînmes de
mômeries que nous ajouterions au canevas de la tradition pour donner plus de
piquant et de gaîté à la pantomime. Car c’est celle-ci qui compte dans la courante
de Vendée et non tant la danse, qui est faite de pas courus et sautés avec
une tenue altière, le bec haut, et le port de buste paonnant.
Dès que Monsieur de Réchignevoisin eut crié son annonce,
faisant sonner bien haut la bourse de cent écus donnée par le Roi, la
grand’salle retentit d’un grand brouhaha et se mit à bouillonner incontinent
d’une folle excitation, comme si tous ces beaux seigneurs et ces nobles dames,
couverts d’or, de perles et de diamants, eussent désespérément compté sur ces cent
écus pour pouvoir manger le lendemain. De reste, ce n’était pas tout à fait
faux. Je savais, par mon père, que la plupart des seigneurs, même de haute
lignée, vivant à Paris, se trouvaient sans cesse à court d’argent, à commencer
par ma marraine, que cela n’empêchait ni de dormir, ni de donner des fêtes
magnifiques.
Mais, d’évidence, l’amour, le jeu, l’émulation entraient
pour la plus grande part dans cette effervescence. Sous nos yeux amusés (ils
pouvaient l’être : nous jouions sur le velours, notre couple étant déjà
formé) chacun se mit avec la dernière fougue à rechercher la cavalière qu’il
désirait, celle-ci, de son côté, mettant tout autant d’énergie à se montrer, ou
à se dérober, selon qu’elle agréait, ou refusait, le choix qu’on avait fait
d’elle.
Ces recherches et ces fuites créèrent au centre de la salle
des sortes de petits tourbillons, les vertugadins colorés des dames virevoltant
promptement, les belles tâchant de se soustraire ainsi aux œillades
demanderesses de certains soupirants – ou, quand en raison de la presse,
la place manquait pour virer de bord –, substituant au tour complet des
détournements de tête, des froideurs d’épaule, des nuques raidies, des lèvres
cousues et des yeux obstinément baissés. En revanche, quelle allégresse riait dans
les yeux et les sourires mouillés, et quelle mollesse s’inscrivait tout soudain
dans les courbes du corps quand se présentait à elles, fendant la foule, le
cavalier désiré !
Pour repousser les indésirables, la langue servait peu. Il
fallait être une très haute dame pour se permettre de dire à un gentilhomme,
sans s’en faire un ennemi : « Monsieur, je suis votre servante, mais
on m’a déjà retenue. » Ce que fit, à ce que j’observai, deux fois au moins
la Princesse de Conti qui, au mépris des objurgations maternelles, attendait à
deux toises de moi, avec la dernière impatience, que Bassompierre vint la
rejoindre ; mais ce que ne purent faire, à leur grand dépit, ni la
Comtesse de Moret, ni Charlotte des Essarts, quand vinrent les inviter,
visiblement sur l’ordre du Roi, Roquelaure et Vitry. Noémie de Sobole s’en
ébaudit grandement.
— Le Roi, me dit-elle à l’oreille, veut avoir l’esprit
tranquille, au moins pendant la durée de cette danse.
— Savez-vous, M’amie, demandai-je, avec qui va danser
Madame de Guise ? Avec mon père ?
— Nenni, elle est dans sa chambre, fort occupée à
consoler Joinville qui, couché à plat ventre sur le lit maternel, pleure comme
un grand veau.
— Est-ce là tout le respect que vous montrez à un
prince ?
— Tout prince qu’il est, je ne l’aime guère. Il n’a
jamais daigné jeter l’œil sur moi.
— Quoi ? Même avec ce décolleté enivrant ?
— Même avec ce décolleté, dit-elle avec le dernier
sérieux. Et pourtant, ajouta-t-elle en jetant un tendre regard à sa poitrine,
ce que je montre est au moins aussi beau que ce que la Moret étale : moins
gros peut-être, mais plus ferme.
— M’amie, comment vous croirai-je ? Ce n’est pas à
l’œil que s’apprécie la fermeté.
Elle rit.
— Ne venez pas faire le saint Thomas avec moi. Vous n’y
gagnerez rien : je ne vous permettrai pas de faire la preuve par le
toucher. Je me demande bien, reprit-elle, de qui vous tenez cette imperturbable
assurance : de votre père, peut-être. Savez-vous que je suis raffolée de
Monsieur votre père ?
— Je conclus de ce sentiment qu’il a jeté plus d’un œil
sur vous.
— Oui-da ! Et plus d’un mot aussi, quand Son
Altesse n’était pas dans la pièce ! Vramy, il est avec moi
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