La Volte Des Vertugadins
Monsieur ! C’est infâme ! Quel
déshonté propos ! Un mot de plus et je quitte la place.
— J’aurai, du moins, une consolation : je
retrouverai mon tabouret.
— Monsieur ! Voilà qui est indigne !
— Pardonnez-moi, Madame, mais tout votre discours n’est
qu’un confus potage. Versez-le donc à terre et me montrez une fois pour toutes
le fond du pot.
— Eh bien, Monsieur le tyranniseur, puisqu’il faut à
force forcée vous satisfaire, je dirais que je suis à peu près assurée
d’emporter le prix de cent écus, et la gloire qui y est attachée, si vous
dansez la courante de Vendée avec moi.
— Comment cela ?
— C’est raison. Quelle dame le Roi peut-il
couronner ? Aucune des beautés célèbres de la cour : la Reine en
serait mortifiée. Quel gentilhomme le Roi voudra-t-il couronner ? Aucun de
nos séduisants galants : ils sont ses propres rivaux. Vous, en revanche,
Monsieur, vous êtes trop jeune pour l’inquiéter. Et moi, est-ce que je
compte ? Et le Roi ne voudra-t-il pas aussi faire plaisir à Madame de
Guise en primant son filleul ?
— Voilà qui est subtilement pensé.
— En outre, j’ai grand besoin des cent écus.
— Comment cela, cent écus ? N’aurai-je pas droit à
la moitié du prix ?
— Oh ! Monsieur ! Seriez-vous assez ladre
pour me disputer cette petite moitié ?
— Assurément. Ne suis-je pas la clé de voûte de votre
petite intrigue ?
— Bien, bien, je me soumets ! N’allons pas
disputer plus outre ! Le temps presse ! Est-ce dit ?
— Pas encore, Madame. Dans la courante de Vendée où l’on mime, de part et d’autre, l’amour déçu, puis triomphant, le choix de la
partenaire n’est pas tout à fait innocent. Il paraît trahir une inclination.
Mieux même, il la publie. J’aimerais donc qu’avant de toper, nous allions,
vous, demander l’accord de Son Altesse et moi, l’assentiment de mon père.
— J’admire votre prudence.
— Oh ! Madame, elle est récente : je viens
d’être échaudé !
— Mais je ne suis pas, moi, de la farine dont on fait
les méchantes, pour peu qu’on fasse tout ce que je veux…
Je ris à cela et la follette, secouant sa chevelure de feu,
courut, autant qu’on pouvait courir dans cette presse, se poster à la porte du
cabinet vieil pour harponner la Duchesse, quand elle en sortirait et lui dire
notre affaire. Quant à moi, assis sur le tabouret qu’elle venait de quitter, je
n’eus pas à chercher mon père : il vint à moi, sachant bien, quant à lui,
qu’il me trouverait là. Je lui contai à l’oreille la petite chatonie de la
Sobole. Il en rit, puis s’étant réfléchi un petit, il me dit :
— Je ne vois pas d’inconvénient à ce que vous soyez
partie à la chose. D’autant moins que la courante de Vendée, étant mimée
plus que dansée, comporte un élément de comédie. Appuyez fort sur cette
chanterelle-là ! Plus votre pantomime fera rire, moins on prendra au
sérieux le sentiment qui est censé l’inspirer. Et enfin, mon fils, si vous
emportez la palme, laissez les écus à la Sobole.
— Quoi, tous ?
— Voulez-vous qu’on dise de vous que « la caque
sent toujours le hareng » et qu’on vous fasse à jamais grief d’avoir des
huguenots dans votre parentèle ? Non, non, faites le magnifique ! Et
que tout le monde le sache ! En outre, la Sobole est pauvre. Que
donne-t-on à une fille d’honneur, sinon le pot, le feu et les hardes dont on ne
veut plus ? Et qui l’épousera jamais ? Ces beaux coureurs de dot dont
elle est coiffée ? Ou un vieux gentilhomme point trop riche et point trop
ragoûtant qui aura convoité sa fraîcheur ? Plaignez-la et laissez-lui la
bourse.
— Je le ferai, dis-je, ému de ce discours.
Jusque-là, tout en me sentant quelque amitié pour la Sobole,
je m’amusais de ses petites ruses. Mais, à ouïr mon père, je vis bien que je
n’avais été avec elle qu’un étourdi, n’ayant pas entendu que la friponnerie de
la garcelette n’était que l’arme avec laquelle elle luttait avec cœur contre sa
triste condition.
Bien oublieuse de celle-ci dans le chaud du moment, elle me
revint, tout allègre et frisquette, encore que Son Altesse n’eût pas été fort
gracieuse, n’ayant obtenu du Roi pour Joinville qu’un pardon à terme et non pas
immédiat : « Et que diantre, avait-elle dit, voulez-vous que cela me
fasse, ma fille, avec qui vous allez courir cette stupide courante ? »
La Sobole et
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