La Volte Des Vertugadins
excessivement
charmant. Mais à la différence de son fils, toujours dans les limites de
l’honnêteté.
— Et de la prudence.
— Mais qui ne serait prudent, dit-elle en riant, avec
votre bonne marraine dans les parages ?
Je commençais à bien aimer cette follette : elle était
si gaie, si franche et si vaillante aussi en sa pauvreté dorée.
Monsieur de Réchignevoisin, voyant que les couples étaient
enfin formés, frappa de sa canne l’estrade des musiciens et nous demanda de
nous rassembler sur une ligne, là où il se trouvait. Ce qui se fit avec assez
de promptitude, mais non sans qu’il dût nous mettre sur deux lignes et non sur
une, les couples étant trop nombreux. Je m’arrangeai pour me placer en seconde
ligne et tout au bout, jugeant qu’on retiendrait mieux notre petite comédie, si
nous la jouions en dernier.
Les musiciens attaquèrent les premières mesures, le silence
se fit et, courant et sautant, les messieurs de la première ligne conduisirent
leurs dames à l’autre bout de la salle et, les laissant là, sagement rangées
devant l’estrade royale, et tournant le dos à Leurs Majestés, ils revinrent,
seuls, à leur point de départ.
Là commençait le rôle en solo. Chacun s’avançait vers sa
chacunière, joyeux et souriant, en mimant pour elle le plus vif amour. Mais
comme il arrivait auprès de sa dame, celle-ci, haussant haut le bec, lui
signifiait un refus des plus secs de la main et lui tournait le dos. Le
malheureux s’en retournait alors sur la ligne de départ, en donnant tous les
signes du plus grand désespoir. Quand tous avaient été aussi cruellement
rebéqués et rejetés loin de leurs belles, ils faisaient tous ensemble une
dernière tentative et, courant se jeter au genou des dames, leur criaient
« merci ! » les mains jointes : elles se rendaient alors et
les couples se reformaient.
Le thème était simplet et tout empreint de la bonhomie
paysanne, naïve et malicieuse qui, en Vendée, avait dû donner le jour à cette
danse, adoptée ensuite par la cour, sans doute parce qu’elle avait plu à
quelque Grand, peut-être même au Roi. Tout l’amusement était, comme je l’ai dit
déjà, dans la pantomime, quand chacun mimait, seul, l’amour fou, et après les
rebuffades de sa cavalière, l’amour désespéré.
J’observais avec la plus grande attention comment les
gentilshommes qui passèrent avant moi s’y prirent, et en particulier les
galants les plus réputés de la cour : Bellegarde, Schomberg, Bassompierre,
Sommerive, le Comte d’Auvergne. Je les trouvais fort élégants, mais point assez
divertissants dans leurs grimaces, parce qu’ils se souciaient davantage de
séduire l’assemblée que de la faire rire. Ils ne se débondaient pas
assez : on sentait encore trop le fat. À mon sentiment, Angoulevent, s’il
avait dansé, aurait été bien plus drôle, car se sachant peu attirant, il
n’aurait pas essayé de faire le beau.
Les dames me parurent meilleures, ayant davantage l’habitude
des petites mines. Mais même dans leurs refus, on voyait trop le désir de
séduire, et toutes charmantes qu’elles fussent, elles faisaient encore trop les
renchéries. Toinon, à leur place, y serait allée davantage à la franquette et
eût fait rire bien plus.
Je remplis de ces remarques proférées à voix basse l’oreille
de la Sobole, et j’y ajoutai aussi quelques suggestions dont elle s’inspira,
tout en improvisant avec verve et d’une façon qui dépassa mes espoirs. Quant à
moi, entendant bien que mon âge pourrait faire passer toutes mes audaces sur le
compte de la naïveté, je décidai d’y aller rondement et, mon tour venu, je
m’avançai vers ma belle qui, à l’autre bout de la salle, me considérait de ses
yeux verts. Je fis mille folies pour mimer l’amour le plus effréné, mais
prenant soin toujours de me tourner de tous côtés, afin d’être vu de
tous : je riais aux anges, je levais les yeux au ciel, j’embrassais de mes
bras une forme imaginaire, je prenais la tête chérie d’une ombre entre mes
mains et la baisais passionnément. Tout cela avec des sauts, des contorsions et
des airs qui prêtaient à rire. L’assemblée, en effet, s’amusa, ce qui ne laissa
pas de m’encourager à pousser plus loin mes extravagances. Je mis ma dextre à
plat sur mon cœur et la fis tressauter comme si elle était mue par des battements
frénétiques. Le mime n’eût été que banal, si je ne l’avais pas répété
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