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La Volte Des Vertugadins

La Volte Des Vertugadins

Titel: La Volte Des Vertugadins Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Robert Merle
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Puis, peu à peu, tout se
remit en place : les rideaux, la fente de lumière, ma chambre, le lit,
moi-même, le jour de la semaine et je me ressouvins que, ce jour même, à quinze
heures, j’allais prendre ma première leçon avec Madame de Lichtenberg.
    Après le lavage et l’habillage – « ces deux
mamelles du lever », disait La Surie, pour parodier Sully – je
descendis en bondissant le viret, au risque de me rompre le col, rejoignis dans
la salle où se prenait le déjeuner mon père et le Chevalier et leur donnant à
chacun « brassée et poutounes » (pour parler leur vieux langage) je
me mis fort joyeusement à mâcher mes viandes, la gorge avide et les dents
aiguisées, ayant l’appétit, ce jour-là, à croquer le monde et trouvant un
immense plaisir, levant les yeux de ma repue, à voir le beau soleil de
décembre, point chaud, mais clair, entrer par les fenêtres.
    — Vous voilà bien réjoui, mon fils ! dit mon père.
    — Je le suis, en effet, Monsieur.
    — Et pourtant, comme chaque jour, une longue matinée
d’études vous attend.
    — Il n’y a pas miracle ! dit La Surie. L’idée
seule de l’étude saisit Pierre-Emmanuel de mille doux frissons. En outre, une
bonne sieste refera ses forces, ne serait-ce qu’en les défaisant.
    — Elle ne sera pas si bonne, ce jour d’hui, dit mon
père, faisant allusion au fait que Toinon, depuis la veille, devait chambre
garder, souffrant de fièvre et de vilaine toux.
    — J’en suis bien marri, dis-je.
    — Toutefois, dit mon père, je vous vois gai comme pinson
à l’aurore.
    — Mais Monsieur, dis-je, prenant le parti de la
franchise, vous en savez comme moi la raison. Je prends ce jour ma première
leçon d’allemand avec Madame de Lichtenberg.
    À vrai dire, j’aurais pu ne parler que de ma leçon
d’allemand. Nommer la dame était superflu. Mais son nom me fit plaisir à
prononcer, tant il était plein de charme pour moi.
    — As-tu ouï dire, Miroul, dit mon père, se peut pour
mettre un terme à la petite picoterie qu’il voyait La Surie trop enclin à
poursuivre, que ce Saint-Germain qui fut décapité en mai n’avait pas seulement
attenté à la personne du Roi en transperçant une image de cire faite à sa
ressemblance, mais que sa femme, laquelle réussit à s’ensauver et à gagner les
Flandres, a été reconnue depuis pour une subtile empoisonneuse ?
    — Je ne le savais pas, mais à la vérité, je crains plus
pour le Roi le poison et la dague que la sorcellerie, dit La Surie et je suis
fort effrayé quand je songe au nombre d’attentats auxquels Henri a déjà
échappé. Ces ligueux ont la rage au cœur. Et quelle religion est-ce là qui leur
conseille de tuer pour plaire à Dieu ?
    — Il n’y a pas que les ligueux et les jésuites. Ce sont
là graines de fanatiques qui, pour extirper l’hérésie, vous extermineraient
tout un peuple. Il y a aussi les Grands. Ceux-là ne croient qu’en eux-mêmes et
ne consultent que leurs intérêts. Ils vendraient la moitié de la France à
l’Espagne, s’ils étaient assurés de régner sur l’autre moitié.
    — Mais tous ne sont pas également à craindre, dit La
Surie. Bouillon est un brouillon. Soissons, un sot imbu de préséances. Condé,
un pauvre être perdu dans la bougrerie, et très incertain de sa naissance.
Guise, un extravagant qui élève une lionne dans son hôtel.
    — Vous oubliez le Duc d’Épernon, dit mon père. Et de
tous, c’est le plus redoutable. Je l’ai bien connu, l’ayant soigné jadis pour
un abcès à la gorge. Et je n’ai jamais aimé ce petit personnage sec et arrogant
qui, parti de rien, a fait sa fortune dans la couchette d’Henri III. C’est
un homme sans scrupule, sans droiture et sans humanité. Je ne gagerais pas
qu’il ait une âme. C’est un Gascon, comme Henri, mais un Gascon froid,
calculateur, secret. S’il s’est rallié à Henri après sa victoire, c’est qu’il
désirait être rétabli dans sa fonction de colonel-général de l’infanterie
française, laquelle lui donne un grand poids dans l’État. Trop grand, à la
vérité ! Raison pour laquelle Henri lui rogne et grignote peu à peu ses
prérogatives. Et raison pour laquelle d’Épernon le hait.
    — Il le hait ?
    — Assurément. Et c’est à peine s’il s’en cache. Pierre
de l’Estoile a eu sur lui un très bon mot que je te cite de mémoire :
« Les ambitieux en la paix sont comme des serpents engourdis de froid.
Mais vienne une

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