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La Volte Des Vertugadins

La Volte Des Vertugadins

Titel: La Volte Des Vertugadins Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Robert Merle
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ne fus pas sans remarquer, en ce voyage, qu’il mettait beaucoup de
finesse à deviner le moment précis où il ne fallait rien dire et beaucoup de
sagesse à n’être fol qu’à bon escient.
    Comme il était assis entre Vitry et Roquelaure, je voyais
bien que les deux compères l’incitaient, par de discrets regards et des coups
de coude (qu’il recevait des deux côtés), à lancer quelque plaisante saillie
pour distraire le Roi de sa tristesse. Mais Angoulevent n’en faisait rien. Il
regardait Henri tapoter ses lunettes, se taisait, faisant même semblant d’être
ensommeillé par les mouvements du carrosse.
    Il faut dire qu’il cahotait fort, surtout quand on sortit de
la capitale pour s’engager sur les routes cailloutées qui menaient à
Saint-Germain, encore quelles fussent infiniment meilleures, selon mon père,
depuis que Sully s’était chargé de la voirie.
    — Sire, dit Roquelaure en poussant en avant sa grosse
trogne cramoisie, êtes-vous encore tourmenté de votre goutte à l’orteil ?
    — Tu n’y es plus, Roquelaure ! dit le Roi d’un air
assez malengroin. La goutte m’a d’abord fait des galanteries à l’orteil. Mais
de là, elle ne tarda pas à remonter au genou, où elle m’a fait tant de caresses
qu’il y a trois ans, à Saint-Germain, en pleine chasse, j’ai dû me faire couper
le haut de la botte, tant ses enchériments m’étaient insupportables. Mais quand
le temps est doux, comme ce jour d’hui, la gueuse ne me relance plus. Et je
souffre alors d’une autre pointillé. Pire peut-être : l’estomac me tord.
Je n’ose plus manger, tant il me douloit. Ah ! Roquelaure ! Où est le
temps où je pouvais ripailler sans souci de la digestion ! À Ivry, t’en souvient-il ?
La veille de ma victoire d’Ivry ?
    — C’est qu’alors, dit Roquelaure, sa large face fendue
d’un sourire, vous étiez excommunié et par conséquent, vous mangiez comme un
diable…
    À cette plaisanterie que je ne trouvai pas d’un goût très
sûr, Henri rit de bon cœur. « En quoi, dit mon père quand je lui répétai
le propos de Roquelaure, le Roi eut bien tort de s’égayer. Il s’est montré là
bien imprudent. Car ce genre de propos, aussitôt colporté, fait douter aussitôt
de sa conversion et donne des armes aux dévots. – Mais, Monsieur mon père,
sa conversion était-elle vraiment sincère ? – Elle était sincère
politiquement et c’est tout ce qu’on peut exiger d’un grand homme d’État dont
le but était de réconcilier ses sujets. »
    Je vis qu’Angoulevent reprenait vie et espoir à cette gaîté
du Roi sans cependant se lancer encore. À voir la face ronde et lunaire du
« Prince des Sots », ses yeux sans sourcil, son nez retroussé et sa
large bouche qui se relevait aux commissures, on eût pu penser que sa nature le
portait à rire. Je m’aperçus, quand je le connus mieux, qu’il n’en était rien.
Dès qu’Angoulevent n’était plus sur la corde raide, funambulant de gausserie en
gausserie, il était plus triste qu’un jour de pluie.
    Le rire d’Henri, toutefois, dura peu. Et il se referma sur
ses pensées, morose et si obstinément silencieux que Vitry finit par lui
dire :
    — Sire, pâtissez-vous ? Êtes-vous ce matin taraudé
par votre goutte ou par votre estomac ?
    — Ni de l’un ni de l’autre, dit le Roi, mais par mon
propre pensement.
    Quoi disant, il se tapota le front que, voyant pour la
première fois de si près, je trouvai fort beau, ainsi, de reste, que sa tête
qui me parut fort bien faite. Je ne l’entends pas seulement au sens où
l’entendait Montaigne, chez qui l’expression était synonyme d’intelligence et de
jugeote, mais de façon littérale, les proportions de son crâne étant
harmonieuses et laissant bien augurer de ses « mérangeoises », comme
il disait, ou, comme nous disons ce jour d’hui, ses méninges. «  Pensement,
mérangeoises  » : vieux mots qu’emploie aussi mon père et qui sont
hors d’usage à ce jour, mais qui, je ne sais pourquoi, m’attendrissent.
    À mon sens, son grand nez Bourbon (mais je serais mal venu
d’en faire la critique) ne déparait pas son visage, non plus que ses fortes
pommettes qui se relevaient, quand il riait, ni sa bouche dont les lèvres
pleines et charnues étaient si expressives. Pour ne point parler ici de ses
yeux « flammeux et brillants » qui m’avaient tant frappé la première
fois que je le vis au bal de la Duchesse de Guise.
    Il est

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