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La Volte Des Vertugadins

La Volte Des Vertugadins

Titel: La Volte Des Vertugadins Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Robert Merle
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l’on
appelle faible ce sexe-là, c’est qu’on oublie qu’il a une langue !…
    Je ne pipai pas. Je feignis de rester de marbre à ses
picoteries, mais sentant bien qu’elle était trop proche de moi et moi d’elle
pour qu’elle n’eût pas quelque raison de me quereller, je me jurai de n’y
revenir plus. C’était trop cher payer la vanité de quelques boucles.
    Il me parut singulier que mon père, toujours ménager de ses
deniers, eût commandé un coche de louage pour me conduire chez la Gräfin von Lichtenberg, et je crus d’abord que le nôtre allait être utilisé dans
l’après-midi. Mais quand le coche vint me chercher par la suite trois fois par
semaine, les lundi, mercredi et vendredi pour m’amener prendre mes leçons chez
elle, j’entendis bien qu’il y avait eu, pendant mon séjour à
Saint-Germain-en-Laye, une entente entre la dame et lui pour que mes visites se
fissent d’une façon plus anonyme que par notre carrosse, dont les portes
étaient emblasonnées aux armes de ma famille. J’en conclus que Madame de
Lichtenberg – parce qu’elle était Allemande et calviniste – craignait
que son logis ne fût surveillé par des espions ligueux ou espagnols. Conclusion
que mon père confirma, en me recommandant de fermer les rideaux du coche et de
ne les ouvrir point que je ne fusse dans la cour de l’Hôtel de Lichtenberg, la
porte cochère refermée derrière moi.
    Je ne fus pas non plus sans observer que les murs qui
fermaient l’hôtel où demeurait Madame de Lichtenberg, tant ceux de la cour que
du jardin, étaient fort hauts, les fenêtres et portes-fenêtres défendues par de
lourds panneaux de bois aspés de fer et le logis bien pourvu en valets et
laquais robustes et l’œil épiant, originaires, à les ouïr, du Palatinat et fort
capables de se muer, à l’occasion, en soldats. Quant à la Gräfin, quel
que fût la salle ou le cabinet où elle me donnait mes leçons, j’observai
qu’elle en verrouillait la porte dès que nous étions installés, la déclosait à
l’entrée du valet qui apportait la collation et la refermait derrière lui. Ces
prudences m’enchantaient. J’avais l’impression de vivre une périlleuse
aventure.
    Quant à son enseignement, il me donna un surplus de respect
pour elle, car il m’apparut vite que ma « maîtresse d’école » valait
bien un jésuite et Dieu sait s’ils étaient en ce domaine réputés, mon maître ès
lettres françaises. Monsieur Philipponeau en étant un brillant exemple, car si
ses galanteries lui avaient perdu la robe de la Compagnie de Jésus, il en avait
conservé les talents.
    Madame de Lichtenberg préparait avec le plus grand soin ses
leçons, les graduait selon mes progrès, récapitulait sans cesse l’acquis avant
de poursuivre, m’encourageait par de discrets compliments et corrigeait mes
fautes avec tant de douceur et de patience qu’en m’affectionnant à elle, elle
ne pouvait qu’elle ne m’affectionnât aussi à l’objet de mon étude. À ouïr le
patois que parlait Franz avec Greta, je m’étais imaginé jusque-là que
l’allemand était une langue assez rude, mais à l’écouter chanter sur les lèvres
de la Gräfin, je compris combien elle pouvait être, sans pour autant
perdre de sa force, flexible et musicale.
    Madame de Lichtenberg, sa leçon finie, me retenait toujours
pour partager sa collation que, pour moi, elle avait retardée d’une heure. J’attendais
ce moment et en même temps, je ne laissais pas de le redouter un peu, puisqu’il
devait amener la fin de notre rencontre et des instants charmants qu’elle
permettait. Mais, soit que la Gräfin sentît en moi cette inquiétude,
soit qu’elle se plût en ma compagnie, j’observai que peu à peu elle les
prolongeait.
    C’était toujours les mêmes galettes et la même confiture, la
seconde étendue sur les premières, de sa belle main qu’une seule bague
décorait, diamants et rubis, toujours la même. Ce n’était, de reste, pas son
unique bijou. Elle avait, autour du cou, pendant à une chaîne ouvragée, un cœur
en or et une clé brisée, lesquels m’intriguaient assez pour que j’en touchasse
un mot à mon père : « D’après Bassompierre, dit-il, elle porte ce
bijou depuis la mort de son mari qu’elle aimait de grande amour. La clé brisée
est un symbole un peu trop pathétique à mon goût et qui risque, à la longue,
d’être démenti. Bassompierre, parce qu’il en a été rebuté, tient Madame

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