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La Volte Des Vertugadins

La Volte Des Vertugadins

Titel: La Volte Des Vertugadins Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Robert Merle
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Madame de Montcalm tant de vertus
inverses, et entretins dans la suite avec elle un commerce affectionné qui
resta constant jusqu’à sa mort.
    Quelque temps après la lettre de Madame de Lichtenberg, la
Duchesse de Guise m’invita à dîner chez elle, et comme toujours je couchai
cette nuit-là en son hôtel en ce même cabinet où, le soir du bal, j’avais
surpris la très étonnante conversation entre Sully et la Reine, que j’ai plus
haut relatée en ces Mémoires. Le petit duc sans nez assistait à ce dîner, et
discourut sans discontinuer tout le temps de la repue, la Duchesse ne pouvant
placer un mot devant un fils qu’elle aimait peu, mais que sa qualité de chef de
famille plaçait au-dessus d’elle.
    De reste, il fallait y aller à la prudence avec le Duc. Il
se piquait de rien. La raison en étant qu’il se sentait très incertain de
lui-même. Pourtant, il ne manquait ni d’esprit, ni d’agrément dans les
compagnies, mais c’étaient là l’alpha et l’oméga de toutes ses vertus. Il était
tout aussi incapable de concevoir un grand dessein que de l’exécuter.
    Je ne faillis pas de me montrer tout respect pour lui, lui
donnai du « Votre Altesse » et parlai peu, si bien qu’il me trouva
« fort plaisant ». Il n’eût pas failli de me trouver « fort
impertinent », si j’avais dit plus que quelques mots.
    Il était censé s’adresser à Madame sa mère, mais la Duchesse
ne lui prêtant qu’une ouïe distraite, en fait il ne regardait que moi, tandis
qu’il discourait, ayant besoin de mon attention pour se persuader qu’il était
écouté. Le lecteur connaît sans doute cette espèce d’infatigables bavards qui
contraignent, pour ainsi parler, leur vis-à-vis à perdre l’être et l’existence,
le réduisant peu à peu à n’être qu’une paire d’oreilles.
    On alla se coucher assez tard, et je gageai que ma bonne
marraine, s’étant trouvée fort malheureuse de son silence forcé, allait pâtir
pendant la nuit d’une de ses coutumières insomnies. La chose ne manqua pas. Et
vers une heure du matin, Noémie de Sobole en ses robes de nuit vint me secouer
sur ma couche dans le petit cabinet que j’ai dit, malengroin assez en
apparence, mais jubilante assez en son for, pour une raison qui ne m’échappait
pas. La nuit étant froide, la Duchesse nous admit dans son vaste lit, Noémie à
sa gauche et moi-même à sa droite, les courtines ouvertes et deux chandeliers
nous éclairant de part et d’autre de la couche, brûlant des bougies parfumées,
luxe fort coûteux, mais que la Duchesse aimait. Je la trouvai fort en beauté
pour une femme de son âge, l’œil bleu, le teint frais et je ne sais quoi
d’épanoui dans toute sa personne. Et certes, elle faisait des plaintes, mais de
façon quasi joyeuse, sa native et inépuisable vigueur l’emportant toujours bien
au-delà de ses soucis. À peine étions-nous installés qu’elle se haussa sur ses
oreillers et commença la longue litanie de ses griefs.
    — Mon Dieu ! Ce petit duc ! Comme il
parle ! Et pour dire quoi ? Beaucoup de paille et peu de grain !
Sa faconde me tue ! Et quel grand fol ! Pas même assez de cervelle
pour cesser de jouer avec Bassompierre, qui bon an mal an lui gagne cent mille
livres ! Jésus ! Et pourquoi faut-il qu’il soit si petit, son père
étant si grand, poursuivit-elle avec une petite moue comique, comme si elle
feignait d’oublier qu’elle-même avait la taille courte. Quant à la beauté,
assurément, c’est Joinville qui eût dû être l’aîné ! Mais quant aux
mérangeoises, c’est tout un ! Joinville est tout aussi fol ! Plus
peut-être ! S’aller jeter dans les tétins de la Moret ! De tous les
tétins de la cour, les plus gros peut-être, mais les plus périlleux ! Et
Henri qui se fâche ! Pour cette fille de néant ! Passe encore qu’il
l’ait fourrée dans un couvent ! Mais pourquoi fallait-il au surplus mettre
une frontière entre elle et mon pauvre Joinville ? Est-ce raison ? Et
Henri a-t-il fait tant d’arias quand Bellegarde l’a cocué avec la Gabrielle ?
    Elle disait « cocué » : c’était le vieux
langage. Mais quant à nous, qui atteignons la vieillesse au milieu de ce
siècle, nous disons : « cocufier ». Quoi qu’il en soit du verbe,
le terme me parut aiguiser au plus vif la verve de ma duchesse.
    — Le proverbe dit vrai, reprit-elle d’un ton
joyeux : « Avant mariage, cocu en herbe ! après mariage, cocu

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