La Volte Des Vertugadins
le Prince ?
Était-il le fils de Condé ou le fils de ce petit merdeux de page ? Dans le
doute, tous les Bourbons, moi comprise, et ce n’est pas ce que j’ai fait de
mieux, lui tournent le dos. Le pauvre petit prince consulte sa mère. Cette
horrible femme est d’une malice noire : elle ricane et refuse de lui
répondre. Il se jette alors aux pieds du Roi. Henri, lui aussi, a les doutes
les plus sérieux sur son sang, connaissant bien ladite mère, mais par pitié et
par bonté il le relève, il le reconnaît comme Bourbon et premier prince du
sang. Il le pensionne, mais perd pour lui toute estime quand il découvre qu’il
est bougre !
— Il n’est pas le seul à la cour ! dit Noémie avec
un soupir. Que c’est pitié, tous ces beaux hommes gâchés et perdus pour nous,
pauvres pucelles !
— Mais, dis-je, pensant à Fogacer, pourquoi cette
mésestime ? Les hommes éminents ne manquent pas parmi cette sorte de gens.
— C’est que le Roi réagit comme la plupart des hommes,
mon filleul : il est sans indulgence pour les vices qui ne le tentent pas.
— Oh ! Madame ! C’est fort galamment
dit !
— Noémie, petite flatteresse, taisez-vous ! dit la
Duchesse, qui cependant but le compliment comme petit-lait, se piquant d’être
éloquente et l’étant, de reste, quand le débat en valait la peine et l’attirait
hors du parler dru, vert et quasi populaire qui était à l’accoutumée le sien.
— Ce que je vous en dis, mon beau filleul, reprit-elle,
c’est pour vous faire entendre que le nœud de l’affaire, c’est le mépris du Roi
pour Condé. Un double mépris : il n’est pas du tout sûr que Condé soit de
son sang, et par-dessus le marché, il est bougre.
— Mais Madame, dit Noémie, comment s’étonner en
l’occurrence des sentiments du Roi ? L’Église condamne les bougres et les
juges les brûlent.
— Babillebabou, ma fille ! On brûle les roturiers
et quelques petits noblaillons de province assez sots pour se faire
prendre ! Mais on ne touche pas aux grandes familles de la cour. Il y
aurait trop de bûchers pour trop de gens !… On les tolère donc, mais le
Roi les a en horreur, pour la raison que j’ai dite. Et aussi parce que pour le
Roi, un gentilhomme doit d’abord penser à son sang et le perpétuer. Et comment
le peut-il, s’il déteste les femmes ? Dois-je vous rappeler que la race
des Valois s’est éteinte du fait de la bougrerie d’Henri III ?
— Madame, dis-je, vous tenez donc que Condé ressentit
comme une offense la proposition du Roi de le marier à Mademoiselle de
Montmorency, quand il comprit ce qu’elle cachait.
— Assurément, c’était pour lui une offense, et une
offense grandissime ! Si vous couchez les choses en clair, voici ce que le
Roi lui dit : Condé, vous allez à mon commandement épouser Charlotte, et
comme vous n’aimez pas les femmes, vous ne la toucherez pas, et peu me chaut du
reste que vous perpétuiez votre race, car vous n’êtes pas vraiment de mon sang.
C’est moi qui aurai Charlotte quand le mariage l’aura émancipée, et vous serez
mon paravent. Vous me devez bien cela : c’est moi qui vous ai reconnu
comme Bourbon et prince, alors que vous n’êtes ni l’un ni l’autre.
— Ah ! Madame ! dit Noémie, quelle
horreur ! Quelle méchantise ! Le Roi lui a vraiment dit cela ?
— Non, sotte caillette, il ne l’a pas dit ! Mais
il a tenu à d’autres ces damnables propos. Et si Condé s’obstine à renâcler
devant ce mariage, soyez sûr qu’il recevra un jour son paquet ! Le Roi est
si furieusement amoureux qu’il ne se maîtrise plus, et se trouve tout à fait
incapable de comprendre que pour Condé, se marier dans ces conditions, c’est
admettre urbi et orbi qu’il n’est ni prince ni Bourbon, mais un petit
maquereau au service du Roi.
Madame de Guise se tut après ce discours et ferma les yeux.
C’était dit à sa manière, crûment, mais non sans compassion pour un prince qui
n’avait rien pour lui, ni ses origines, ni son physique, ni son caractère,
étant aigre, amer, agité et d’autant moins aimable qu’il se sentait si peu
aimé. En y réfléchissant après coup, je me dis que ma bonne marraine avait
corrigé heureusement sans le connaître le propos de mon père, qui dans cette
affaire ne voyait que le Roi à plaindre, parce qu’il était hameçonné par « cette
petite peste ». Mais à plaindre, Condé l’était aussi. Car quoi qu’il
décidât,
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