La Volte Des Vertugadins
lutte sous d’autres
formes. Et en un sens, sa position est plus forte, maintenant qu’il a épousé
Charlotte.
*
* *
Le Roi dont la cour s’était transportée à Fontainebleau en
mai pour échapper à la touffeur de l’air, si pénible à supporter en Paris,
revint cependant un mardi au Louvre vers la mi-mai, à ce qu’on disait pour y
régler une urgente affaire en rapport avec la succession de Clèves.
Et le lendemain, il me convoqua à huit heures du
matin – vous avez bien lu, huit heures – par un de ses billets
courts, cordiaux et impérieux dont il était coutumier. Je me rendis au Palais à
peine désommeillé, et Vitry qui, d’évidence, m’attendait au guichet, me
conduisit à travers le dédale que l’on sait en un petit cabinet où, m’ayant
prié de ne point me formaliser de sa conduite, il me serra à double tour. Je me
morfondis là une bonne heure et je commençais à me demander si on n’allait pas
de là me transporter à la Bastille pour un crime que je ne savais pas avoir
commis, quand la clef tourna dans la serrure, le Roi entra et reverrouilla la
porte derrière lui.
— Mon petit cousin, dit-il d’un ton vif, cette fois il
ne s’agit point d’écrire sous ma dictée une lettre dans une langue étrangère à
un prince ami, mais en français à une dame qui demeure en Paris. La chose étant
de la plus grande conséquence non seulement pour moi mais pour elle, je te
saurai gré de porter toi-même la missive, non à ladite dame mais à sa
chambrière, dans des conditions qui pourraient s’encontrer périlleuses. Mais si
tu as, comme je crois, la vaillance et l’adresse de ton père, ton âge te
désigne particulièrement pour cette mission. Personne, en effet, ne s’étonnera
qu’un damoiseau de ta tournure accoste une accorte chambrière pour lui conter
fleurette.
— Ah ! Sire ! dis-je, tout excité par cette
tâche qui me retirait de la morne mésaise de ma vie, péril ou non, c’est avec
joie que je servirai Votre Majesté ! Mais si vous me permettez, j’aimerais
toucher un mot de cette mission à mon père, afin qu’il m’aide de ses conseils.
— Assurément, tu le peux. Or sus ! mon petit
cousin, l’écritoire est là, prends la plume !
Le Roi ne m’ayant pas cette fois-là demandé le secret comme
pour sa correspondance d’État, je me sens libre davantage de parler de cette
lettre, toutefois dans les limites de la discrétion que je dois à sa mémoire. À
la différence de ses missives habituelles, qui brillaient par leur concision et
leur vigueur à l’emporte-pièce, celle-ci était fort longue ; elle était
aussi fort littéraire, commençait par « Ma Dulcinée » – preuve
qu’Henri avait lu le Don Quichotte de Cervantes – et elle était
couchée de bout en bout dans le style moral, sentimental, pudique et ampoulé de L’Astrée où, comme on sait, les réalités de l’amour sont passées sous
silence au profit des effusions du cœur. Henri me la dicta en marchant de long
en large, le pas aussi élastique que celui d’un jeune homme, le visage illuminé
et la voix émue, tant est que je me fis la réflexion qu’il était dommage que la
passion si sincère qui l’animait ne passât pas davantage dans son expression,
laquelle était toute de mode et de convention.
Cette lettre répondait sans nul doute à une lettre qu’il
avait déjà reçue et dans laquelle la dame l’assurait d’un amour aussi effréné
que le sien, puisqu’elle avait appelé Henri « l’astre que j’adore »,
expression qu’il relevait dans la lettre que j’écrivais sous sa dictée, pour
lui dire la félicité et la gratitude qu’elle lui avait inspirées.
Henri terminait sa lettre par l’ardent souhait qu’il faisait
que la dame revînt « charmer les lieux où il se trouvait » (sans
nommer Fontainebleau), ce qui était au surplus exprimé par des vers, que je me
permets de citer, on verra plus loin pourquoi :
Avecque sa
beauté toutes beautés arrivent,
Les déserts
sont jardins de l’un à l’autre bout,
Tant
l’extrême pouvoir des grâces qui la suivent,
Les pénètre
partout.
— Eh bien, mon petit cousin, dit le Roi d’un air
content en interrompant sa dictée, que penses-tu de ces vers ?
— Je les trouve fort beaux, Sire.
— Ils sont de Malherbe, à qui je les ai commandés. Je
n’ai pas, hélas, ce génie-là.
Et il me dicta le reste du poème, qu’il savait par cœur, et
qu’il récita
Weitere Kostenlose Bücher