La Volte Des Vertugadins
présence de la Reine, assise devant moi
entre le Connétable et le Duc d’Épernon, tancé préventivement par Madame de
Guercheville, et surveillé par les filles d’honneur dont il n’était pas à
espérer qu’elles m’iraient quitter de l’œil ni de l’ouïe durant ce petit quart
d’heure, je ne voyais pas comment j’eusse pu oser dire à Mademoiselle de
Fonlebon à quel point sa beauté me ravissait. Elle était fort belle, en effet,
et chose étrange, elle l’était à la manière de la Princesse de Condé, la dureté
et les petites mines en moins. C’était même taille svelte et ronde, et même
exquise joliesse de traits, mais là où chez l’une on sentait le calcul et la
ruse, chez celle-ci tout était simple, les paroles et les regards venant du
cœur, sans la moindre fausseté ni affectation. On y sentait aussi la vraie
vertu, et non pas celle qui ne se refuse que pour se vendre au mieux.
Me voyant à peu près muet et pensant que c’était là
gaucherie, Mademoiselle de Fonlebon entreprit avec beaucoup de bonne grâce de
me mettre à l’aise en me parlant d’abondance du Périgord où, l’été précédent,
elle avait séjourné deux mois en la châtellenie de Castelnau chez les Caumont.
J’étais tout regard sans être tout ouïe, car penché que j’étais vers elle pour
boire sa beauté plus que ses paroles, mon attention du coin de l’œil ne laissa
pas d’être attirée par un événement surprenant, et à mon sens, tout à fait
scandaleux, qui se passa devant moi. Le Connétable, ayant quis son congé de la
Reine, et ayant quitté le siège qu’il occupait à ses côtés, il y fut aussitôt
remplacé par Concino Concini. La rare impudence de ce bas aventurier florentin,
osant s’asseoir en public à la droite de Sa Majesté, sans qu’elle protestât ni
le rejetât aussitôt dans la boue dont il était issu, me laissa béant, et tout
en continuant d’envisager Mademoiselle de Fonlebon, je cessai tout à trac de
l’écouter.
Personne ne pouvait ignorer à la cour combien Concino
Concini et sa funeste épouse, Léonora Galigaï – le premier se pavanant
partout avec la plus odieuse assurance, la seconde cachée et recluse en son
repaire du Louvre –, étaient honnis du Roi, lequel depuis neuf ans avait
en vain essayé de convaincre la Reine de renvoyer en Florence ces deux sangsues
qu’elle gorgeait quotidiennement d’écus arrachés au Trésor. Et ce Concini,
qu’en Toscane le Grand-Duc avait dû jeter plusieurs fois en geôle pour ses
dettes et ses méfaits, avait le front de s’asseoir à la place du Connétable à
la droite de la Reine, et à ce que je vis à mon immense stupéfaction, de se
pencher vers elle et de lui parler à l’oreille, se prévalant d’une intimité à
laquelle ni son sang ni son rang ne lui donnaient le moindre droit.
Je n’eus d’abord pas l’intention d’écouter, mais je ne pus
m’empêcher d’ouïr ce qui se disait là sotto voce en italien, entendant
bien aux premiers mots que le faquin prononça, que pour se revancher du Roi qui
l’avait voulu exiler, il entreprenait de verser de l’acide sur les plaies de la
Reine. Celles-ci n’étaient que trop réelles, tant Marie, à observer l’amour
forcené du Roi pour la Princesse de Condé, prenait des alarmes et des ombrages.
Et voyant bien que le traître ne songeait qu’à les aggraver jusqu’à l’amener à
craindre pour son trône et pour sa vie, je ne me fis plus le moindre scrupule
de tendre l’oreille, tout en continuant à feindre au bec à bec le plus grand
intérêt pour les récits de Mademoiselle de Fonlebon.
Je ne saisis pas tout, de prime parce que le faquin parlait
fort bas, et ensuite parce qu’il employait des mots empruntés à un dialecte que
je ne connaissais pas. Mais j’en entendis assez pour comprendre à quel point ce
qu’il disait pouvait nuire au Roi dans l’esprit d’une femme à la fois obtuse et
passionnée. Concini – ou, comme on disait à la cour, le Conchine –
avait dû recruter et placer au mieux d’habiles espions car, je m’en aperçus
avec stupeur, il savait tout le détail d’une intrigue amoureuse dont la cour ne
connaissait que les apparences. Il révéla ainsi à la Reine la correspondance
secrète du Roi et de la Princesse, les vers commandés à Malherbe, le tableau
exécuté et livré en cachette et l’apparition silencieuse de la belle sur son
balcon entre deux flambeaux.
La simple récitation de ces faits ne
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