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La Volte Des Vertugadins

La Volte Des Vertugadins

Titel: La Volte Des Vertugadins Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Robert Merle
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bonté
naturelle, il décida de le reconnaître comme Bourbon et prince, mais sans
véritablement choisir entre les trois hypothèses envisagées. Et c’est seulement
dans le chaud du moment et pris de fureur contre Condé qui l’avait traité de
tyran qu’il se laissa aller à faire état de l’hypothèse la plus désolante pour
son neveu.
    — C’est là néanmoins parole dure et fâcheuse, dit La
Surie.
    — Assurément, mais elle est de nulle conséquence, le
Roi ne se pouvant déjuger, ni débourbonner Condé, qui restera ainsi
Bourbon et prince jusqu’à sa mort, et ses fils et petits-fils après lui. S’il y
eut une tache sur son blason, le temps l’effacera.
    Le lendemain, comme j’entrai dans la salle à manger pour y
dîner, je trouvai mon père debout, une lettre à la main et les larmes coulant
sur ses joues. Il me tendit la missive sans un mot. Elle était de mon
grand-père, le Baron de Mespech, et annonçait à mon père la mort de sa nourrice
Barberine, laquelle l’avait nourri en ses maillots et enfances, non seulement
de son lait, mais de son inépuisable tendresse, étant, à la vérité, beaucoup
plus proche de lui que sa mère naturelle, laquelle l’aimait, mais sans le lui
témoigner jamais, étant si glorieuse de son illustre sang.
    — Lisez la lettre entière, dit mon père, elle en vaut
la peine.
    Ce que je fis et regrette bien qu’elle se soit égarée
depuis, tant elle me frappa. Le Baron, qui entrait alors dans son grand âge, y
parlait des mésaises et incommodités qu’il y trouvait et la façon dont il y
faisait face. « La vieillesse, disait-il, est un long combat en retraite
contre la mort. Et bien qu’on soit assuré, à la fin, d’être vaincu, on se doit
à soi-même de combattre pied à pied avec une entière résolution et s’il se
peut, en se tenant en joie. »
    Le repas était à peine terminé qu’on vint nous dire que
Toinon demandait à voir mon père. Tant le cœur me battit à cette annonce que je
me levai à demi pour me retirer dans ma chambre, mais mon père me retint par le
bras avec un regard qui m’enjoignait de ne me dérober point. Je me rassis,
assez vergogné d’avoir voulu fuir ma soubrette et fis de mon mieux pour me
composer un visage.
    Toinon avait fait quelque toilette pour nous visiter, mais
avec assez de finesse pour ne point paraître sortir de sa condition. Sans aller
jusqu’au vertugadin, son cotillon ne s’arrêtait pas au genou comme celui de nos
chambrières, mais descendait avec dignité jusqu’aux pieds, étant au surplus de
bonne étoffe et orné de quelques broderies. Autour du cou elle portait une
chaîne d’or, petite mais point mesquine, que selon Mariette, le maître
boulanger Mérilhou lui avait offerte pour son mariage. À l’entrant, elle nous
bailla à tous trois une révérence digne d’une fille de bon lieu, puis une
seconde à mon père seulement, son regard passant sur moi sans se poser, mais
point trop rapidement non plus.
    — Eh bien, Toinon ! dit mon père du ton gaillard
et enjoué dont il usait pour s’adresser à un de nos gens et qui, quand il
s’agissait d’une femme, était nuancé d’une sorte de douceur et de
complicité : Que nous vaut le plaisir de revoir céans ton joli
visage ?
    — Une aide que je désire quérir de vous. Monsieur le
Marquis, dit-elle avec une humilité et un respect qu’elle n’avait jamais
montrés à aucun d’entre nous du temps où elle était ma soubrette.
    — Voyons cela !
    — Comme vous le savez sans doute, Monsieur le Marquis,
nous avons depuis peu en Paris un nouveau lieutenant civil, lequel a pris une
ordonnance contre l’abus des boulangers quant au poids du pain et même du pain
mollet.
    — Pourquoi « et même du pain mollet » ?
    — Parce que le pain mollet étant un pain pour les gens
étoffés, il est de tradition, dans la boulange, de ne pas tant y regarder au
poids.
    — J’entends bien. Poursuis, je te prie.
    — Il y a quinze jours, Monsieur le Marquis, les
commissaires de Monsieur le lieutenant civil fondirent sur nous en notre
boutique pour vérifier le poids de nos pains, y compris, ce qui est exorbitant,
le poids du pain mollet.
    — Et ils les ont trouvés inférieurs au poids qu’ils
eussent dû avoir ?
    — Oui, Monsieur le Marquis.
    — Très inférieurs ?
    — Moyennement inférieurs, Monsieur le Marquis.
    — Et comment diantre cela peut-il se faire ? dit mon
père en haussant le sourcil d’un air

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