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La Volte Des Vertugadins

La Volte Des Vertugadins

Titel: La Volte Des Vertugadins Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Robert Merle
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faussement naïf.
    — Parce qu’on pèse le poids du pain avant de le cuire,
et il réduit à la cuisson.
    — Ne serait-il pas possible de se prémunir là-contre en
rajoutant du poids à la pâte avant de la cuire ?
    — On le pourrait, mais alors on y perdrait prou.
    — J’entends bien. Et que firent les commissaires ?
    — Ils nous donnèrent le choix : payer l’amende ou
cracher au bassin.
    — Quelle est la différence ?
    — L’amende va dans les caisses de Monsieur de Sully et
le bassin coule dans les poches de Monsieur le lieutenant civil, lequel tâche
ainsi de se rembourser des quatre-vingt mille écus que lui a coûtés sa charge.
    — Lequel est le moins cher : l’amende ou le
bassin ?
    — Le bassin.
    — En conséquence, vous y crachâtes.
    — Oui, Monsieur le Marquis.
    — Vous fîtes donc là une sérieuse épargne.
    — Non, Monsieur le Marquis car, contrairement aux
promesses faites par les commissaires, nous eûmes aussi l’amende.
    — Damnable abus ! dit mon père en se tournant vers
moi. Et le premier abus, d’évidence, fut de vendre sa charge au lieutenant
civil. Que puis-je faire pour toi, Toinon ?
    — Monsieur le Marquis, je vous aurais infiniment de
gratitude si vous aviez l’occasion de dire à Monsieur le lieutenant civil que nous
avons payé à la fois l’amende et le bassin, car il se pourrait bien que le
bassin ne l’ait jamais atteint, s’étant égaré dans les poches des commissaires.
    — Il se pourrait bien, en effet. Observe, mon fils,
comment, d’un abus initial découle une cascade d’abus et comment la corruption
gagne de proche en proche… Toinon, ma fille, va en paix. J’irai voir cette
après-midi le lieutenant civil. Il saura que tu as payé deux fois. Il saura
aussi que je suis un grand ami de Monsieur de Sully. Je n’aime guère les
ordonnances qui, sous prétexte de vérifier les poids, pressurent l’artisan,
qu’il soit d’échoppe ou de boutique.
    — Avec votre permission, Monsieur le Marquis, dit
Toinon avec un grand air de dignité, le Maître Mérilhou et moi-même, nous ne
sommes pas d’échoppe, mais de boutique.
    Je reconnus bien là ma Toinon qui, lorsqu’elle se gourmait,
était aussi fière et haute à la main qu’une duchesse.
    — Je m’en souviendrai, dit mon père.
    Toinon lui fit alors mille mercis et après deux parfaites
révérences se retira. Nous sûmes plus tard, par Mariette, qu’elle était venue
chez nous masquée comme une personne de condition, et accompagnée d’une
servante. Toutefois, cela nous fut conté sans le moindre venin, la bonne
commère admirant maintenant Toinon autant qu’elle l’avait détestée quand elle
vivait chez nous. «  Elle est chérieuse, disait-elle, et elle a
bien fait ches jaffaires. » En outre, Toinon dans sa boutique la
traitait toujours avec honneur devant les autres chalands, lui donnait du
« Madame », la baisait sur les deux joues, s’enquérait de nos santés
et, outre le pain mollet que notre pourvoyeuse achetait pour nous, lui en
donnait toujours un petit, aux noix ou aux raisins, pour son usage propre.
    — Monsieur mon père, dis-je, quand elle fut partie. Y
a-t-il donc une si grande différence entre une échoppe et une boutique ?
    — Grandissime ! Une boutique comme celle de
Mérilhou comporte une arrière-boutique, une cour avec un puits, des chambres à
l’étage et un grenier. Une échoppe est une sorte de baraque en bois construite
en appentis contre un mur et le plus souvent sans aucun droit ni titre. Je ne
saurais vous en donner un plus bel exemple que celles qui se sont collées comme
des arapèdes contre le mur d’enceinte du cimetière des Innocents et qui
rétrécissent de la façon la plus incommode la rue de la Ferronnerie, laquelle
rue, pourtant, est le chemin le plus direct et le plus fréquenté pour traverser
la ville. Henri II, l’empruntant en carrosse un jour, s’y trouva
immobilisé une grosse heure dans un embarras de chariots et en fut si vivement
irrité que le lendemain il commanda par édit qu’on rasât ces échoppes. Mais
comme souvent en ce royaume cet édit resta lettre morte et les échoppes de la
rue de la Ferronnerie, loin de disparaître, se multiplièrent, grossirent comme
des verrues, et empiètent à ce jour plus que jamais sur la largeur de la
chaussée.
     
    *
    * *
     
    C’est avec le plus grand déplaisir que nous retrouvâmes, le
six juillet, dans l’auberge des Sept Fayards à Samois

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