La Volte Des Vertugadins
tyrannie !
Ce mot de « tyrannie » mit le Roi tout à fait hors
de ses gonds pour la raison que les théologiens jésuites avaient imaginé
d’établir une distinction entre un roi dont les sujets devaient respecter la
vie et un autre, qu’il devenait licite de tuer sans péché, quand il se
changeait en tyran. Il appartenait de toute évidence aux seuls jésuites de
décider qui était tuable et qui ne l’était pas. Subtile casuistique qu’avait
armé le bras de leur élève Châtel contre Henri, et Henri ne l’avait pas oublié.
Le Prince, sans le vouloir, avait touché là un point sensible.
— Jamais ! hurla Henri en levant les deux bras au
ciel, jamais je n’ai fait acte de tyran dans ma vie, sauf quand je vous ai
reconnu pour ce que vous n’étiez pas : pour le fils de votre père ! Votre
vrai père, je vous le montrerai à Paris quand vous voudrez !
— A-t-il dit cela ? dit La Surie, atterré.
— On l’assure.
— C’est là une parole bien cruelle ! Elle étonne
et détonne dans la bouche d’un homme aussi bon.
— Ah ! Bah ! dit Bassompierre imperturbable,
qui dit amour, dit folie, chaos, monde à l’envers : le plus sot a soudain
de l’esprit, l’homme d’esprit s’assote, le méchant perd son venin, et le tendre
durcit…
— Et le Prince ? dit mon père.
— Fou de rage, il passa outre au refus du Roi et se donna
à lui-même son congé en emmenant sa femme en son château de Vallery. Ah !
Marquis ! Ce fut pis ! Notre soleil s’était éclipsé ! Nous
tombâmes en nos plus noires humeurs ! Fontainebleau ne fut plus que
cailloux désertiques et Malherbe reçut commandement de faire pleurer sa muse.
Elle pleura à merveille, l’ingrat Malherbe étant tout content en son for que,
du fait de ses larmes, sa bourse se gonflât.
— Monsieur, dis-je, vous qui aimez la poésie, vous
devriez pensionner Malherbe. J’ai ouï dire qu’il était pauvre.
— Hélas, mon beau neveu, je ne le peux :
Bellegarde l’ayant pensionné avant moi, on dirait que je l’imite… mais quoique
je doute qu’elle sache distinguer les vers de la prose, je le recommanderai à
la Reine.
— Et le Roi ? dit La Surie, impatient de cette
parenthèse.
— Il écrivit de nouveau à Sully de discontinuer les
pensions du Prince et il écrivit au Prince dans les termes les plus
comminatoires de se trouver sans faute à Fontainebleau avec la Princesse le
sept juillet pour le mariage du Duc de Vendôme avec Mademoiselle de Mercœur.
Vous saurez vous-mêmes de visu si le couple princier se rend à ce commandement.
— Comment cela « de visu » ? dit La
Surie.
Bassompierre se leva et dit avec un salut des plus
élégants :
« Sa Majesté, par ma bouche, vous invite, Marquis, à
assister au mariage du Duc de Vendôme [55] , le sept juillet,
ainsi que le Chevalier de Siorac et le Chevalier de La Surie. »
Sur ces mots, il nous donna à tous trois une nouvelle
bonnetade et se tournant vers mon père, il reprit :
— Marquis, avec tous mes mercis pour ce succulent
souper, je quiers de vous mon congé. Il se fait tard et on m’attend.
Mon père l’accompagna dans la cour jusqu’à son carrosse.
Après quoi il nous rejoignit dans notre librairie où, les verrières grandes
ouvertes à la fraîcheur du soir, La Surie et moi regardions un ciel qu’une lune
pleine et un grand déploiement d’étoiles rendaient si lumineux que nous
pouvions distinguer comme en plein jour les pignons, les bretèches, les tourelles
et les flèches de notre grande ville.
— Ma fé, dit La Surie, peut-être me pourriez-vous
expliquer ce mystère, car je n’y entends goutte. Le Roi aurait confié à la
Verneuil que le Prince était son fils et d’après Bassompierre, le Roi aurait
dit au même prince qu’il lui montrerait ledit père à Paris quand il voudrait.
— Ah ! dit mon père en se jetant dans une chaire à
bras. C’est ainsi qu’on écrit l’Histoire : sur des on-dit douteux. Il se
peut que le premier on-dit soit faux, ou le second, ou peut-être les deux.
— Mais, dit La Surie, à supposer que tous les deux
soient vrais, comment expliquer cette contradiction ?
— Elle n’est pas insoluble. La Princesse douairière de
Condé a eu plus d’un amant. Il se peut que le Roi ait été l’un d’eux et se soit
demandé, au moment de reconnaître Condé, s’il était le fils du Prince de Condé,
ou le fils du page, ou le sien. Dans le doute, et du fait aussi de sa
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