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La Volte Des Vertugadins

La Volte Des Vertugadins

Titel: La Volte Des Vertugadins Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Robert Merle
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avec la Duchesse, mon père,
apprenant au Louvre que Sully devait voir le Roi seul le jeudi matin au lever,
l’approcha pour lui demander de l’accompagner. À ce qu’il me dit, ce n’est pas
sans appréhension qu’il entreprit cette démarche. Il avait fort bien connu le
Duc de Sully, au temps où il n’était ni duc, ni Sully. Il s’appelait alors du
nom de son père : Rosny, gentilhomme huguenot de bon lieu, mais obscur.
Par sa vaillance, sa fidélité au Roi et ses talents dans le ménagement de ses
finances, Sully avait assurément mérité son élévation. Mais son humeur altière
le faisait détester de tous. Ce n’était pas seulement qu’il paradait
éternellement ses vertus. Non content de se prévaloir de ses services, qui
étaient grands, il empruntait aussi ceux des autres. Et surtout une étrange
manie le possédait : il aimait offenser. Surintendant des Finances, il
était, bien sûr, en butte à de nombreuses sollicitations, la plupart mal
fondées. Mais il ne se contentait pas de les rebuter. Il colorait ses refus
d’une sorte de dédain, et plus le rang du solliciteur était élevé dans l’État,
plus il y mettait de l’aigreur. On aurait dit que sa gloire se nourrissait du
mépris qu’il montrait aux plus grands. Cette discourtoisie, à la longue, était
devenue chez lui une seconde nature. Leurs Majestés elles-mêmes n’étaient pas à
l’abri de son incivilité. Il tançait la Reine sur ses inconséquences. Il
morigénait le Roi sur ses maîtresses. Et Sa Majesté en était à ce point lassée
que quelque temps avant sa mort, elle songeait à le remplacer. Il est vrai
qu’Elle avait aussi une autre raison à ne plus l’aimer tant. Elle ne pouvait
ignorer que si ce grand moraliste avait bien rempli les coffres de l’État, il
n’avait pas laissé de garnir fort bien les siens. Chez un Surintendant des
Finances, cela, à vrai dire, n’étonnait guère. Mais que cette avarice apparût
chez une vertu si roide, le Roi en était irrité.
    Toutefois, c’était surtout avec les gens que le rang ou leur
sang plaçaient au-dessus de lui que Sully se montrait arrogant. Avec mon père,
qu’il jugeait trop petit pour lui porter ombrage, il se montra aimable et
consentit à ce qu’il l’accompagnât chez le Roi le lendemain à sept heures, le
jeudi étant, en effet, le jour du Conseil et le Roi, ce jour-là, faisant
l’effort de se réveiller de bonne heure. Il va sans dire que Sully avait ses
entrées dans la chambre royale et qu’il y pénétrait seul, et le premier. Pour y
parvenir, il traversait la salle basse des Suisses (laquelle, dit mon père,
sentait le cuir et la sueur) et il gravissait « le petit degré du
roi », escalier à vis fort raide, mais commode et discret, par lequel le
Roi sortait coutumièrement du Louvre.
    Les courtines du baldaquin royal se trouvaient étroitement
closes, et encore que Sully et mon père en s’approchant eussent fait quelque
bruit, le couple royal ne donna pas signe de vie. Sully qui n’était pas altier
au point de ne pas respecter les formes et ne se fût même pas permis de tousser
avant que le Roi ne lui adressât la parole, se mit alors à faire de grandes
révérences devant les rideaux fermés, mon père l’imitant aussitôt, en
remarquant que Sully avait l’échine roide, les articulations craquantes et le
geste assez peu italien. Mon père, qui possédait (ce qui manquait assurément à
Sully) un sentiment aigu du comique, trouvait à part lui absurde de tant se
prosterner devant quelqu’un qui ne pouvait les voir. Pourtant, à force de
génuflexions, leur muet manège finit par attirer l’attention du dormeur, soit
qu’il fût plus qu’à demi réveillé, soit qu’il eût entendu, dans son
demi-sommeil, craquer les membres de Sully ou le bruit de forge que faisait son
souffle.
    — Qu’est-ce ? Qu’est-ce ? dit-il d’une voix
enrouée.
    — Sire, dit Sully se redressant, avec un certain air de
pompe, c’est votre Surintendant des Finances.
    — Ah c’est toi, Rosny ! dit le Roi.
    Et il ouvrit la courtine du côté des visiteurs. Il était
assis sur son séant, le buste découvert. Mon père, du temps où Henri guerroyait
pour reconquérir son royaume, cousu à l’ordinaire « comme tortue dans sa
cuirasse », l’avait vu plus de cent fois après le combat dans ce simple
appareil. Mais ce jour-là, le considérant en médecin, il fut frappé par sa
maigreur. Certes, le Roi était musculeux, mais son

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