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La Volte Des Vertugadins

La Volte Des Vertugadins

Titel: La Volte Des Vertugadins Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Robert Merle
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dis-je en haussant le sourcil.
Qu’est-ce que cela veut dire ?
    — Comment, Monsieur le Chevalier ? dit Toinon,
surprise de se trouver en l’occurrence plus savante que moi, vous ne le savez
pas ? Décrier les monnaies, c’est leur donner un nouveau pied,
c’est-à-dire les affaiblir. Si l’écu d’or au soleil de France qui vaut ce jour
soixante-cinq sols est rabaissé à cinquante-cinq sols, nous perdrons dix sols
par écu. Et c’est une grandissime perte pour ceux qui ont de l’argent dans
leurs coffres ! Ah ! Monsieur le Chevalier ! reprit-elle en
s’animant. C’est pitié que de ruiner ainsi d’un coup de plume l’honnête artisan
qui travaille à son four dès potron-minet ! Qu’adviendra-t-il de nous, si
la guerre nous dévaste ? Où sera en allée la poule au pot tous les
dimanches ? Le père de mon Mérilhou, pendant le siège de Paris, en était
réduit à ronger les os de son dernier canard, et pas une livre de farine pour
se faire son propre pain ! Si le Roi ne nous donne rien, au moins qu’il ne
nous ôte rien ! C’est trop nous mettre sus, à la fin !
    Ce disant, les larmes lui coulaient sur les joues, et sans
que son visage grimaçât le moindre, la désolation s’y peignait si fort que mon
cœur se serra de pitié et que je dus résister à l’envie de la prendre dans mes
bras pour la consoler. Mais cette impulsion me venait de nos douceurs
anciennes. Et je le sentis bien, l’heure n’était plus à ces tendresses-là. Et
sans bouger le moindre, je la considérais en silence, tâchant de lui faire
entendre, par mon seul regard ce que ma brassée lui eût dit beaucoup mieux.
    Elle reprit plus vite que je ne l’aurais pensé la
capitainerie de son âme et tirant un mouchoir de sa manche, elle s’en tamponna
les joues. Ce qu’elle fit comme elle faisait tout : avec grâce. C’est vrai
que « nièce » chez Bassompierre et « soubrette » chez nous,
elle avait toujours vécu au-dessus de sa condition. Mais n’ayant jamais été,
comme Louison, la chambrière d’une haute dame, il lui avait fallu se passer de
modèle, et ces petites élégances, elle avait dû les tirer de son propre fonds.
    Cependant, je ne laissai pas d’être étonné que ni mon père
ni La Surie ne m’eussent touché mot de cet édit des monnaies qui devait les
atteindre aussi, leurs coffres, à ce que j’imaginais, étant loin d’être vides.
    — Toinon, dis-je, quand je la vis quelque peu remise de
son émeuvement, ce décriement de l’écu est-il ce jour d’hui chose faite ?
    — Nenni, Monsieur, pas encore ! Dieu merci, le
Parlement a refusé d’enregistrer l’édit, mais c’est tout justement la lutte du
pot de terre contre le pot de fer. Si le Roi s’obstine, il l’emportera et le
Parlement devra céder. Ah ! Monsieur le Chevalier, cette guerre où le Roi
nous veut jeter ne nous vaut rien qui vaille ! C’est la ruine du
commerce !
    — Mais point de tout commerce, Toinon, dis-je vivement,
et sûrement pas du tien. On mangera toujours du pain.
    — À condition d’avoir du blé, Monsieur. Vous savez
comme moi qu’en temps de guerre, le blé se raréfie et qu’en outre, le populaire
est si assoté qu’il s’en prend toujours au boulanger de la disette dont il
pâtit.
    À cela je ne dis rien, le fait n’étant que trop avéré, le
père de Mérilhou ayant été tué pendant le siège de Paris, et sa boutique,
éventrée par les émeutiers sans qu’ils y pussent trouver une poignée de farine.
    — Mais, qu’y pouvons-nous faire ? dis-je au bout
d’un moment.
    — Nous, rien, assurément, dit Toinon, mais vous
peut-être, Monsieur le Chevalier.
    — Moi, Toinon ? dis-je, béant.
    — J’ai ouï dire. Monsieur le Chevalier, que vous aviez
le privilège de voir le Roi, de lui parler au bec à bec, vu que vous lui faites
la lecture et qu’il vous aime prou, vous appelant son « petit
cousin » !
    — Mais, Toinon, où as-tu pris cela ? dis-je,
stupide d’étonnement.
    — Madame la Duchesse de Guise l’a dit devant Mariette
et celle-ci, glorieuse comme elle l’est de vous, ne s’est pas fait faute de me
le répéter.
    Maudite langue de Mariette ! Mais que penser de Madame
de Guise, assez peu prudente pour se vanter à portée d’ouïe de nos gens de la
faveur de son filleul ?
    — Mais Toinon, dis-je, crois-tu que j’oserais critiquer
à sa face les monnaies du Roi ? Ce serait bien de l’impertinence ! Et
il me rirait au

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