La Volte Des Vertugadins
possessif.
— Comme un jeune gentilhomme fort aimable et qui aime à
donner le bel œil aux filles.
— Et cela te déplaît ?
— Non, Monsieur, pas quand on est fait comme vous
l’êtes !
Je fus ravi qu’elle fît vers moi plus de la moitié du chemin
et quand je parlai de nouveau, ce fut d’une voix qui me venait du fond de la
gorge et que j’avais quelque mal à articuler.
— Louison, dis-je, revenons à nos moutons. Je ne peux
t’engager ferme avant le retour de mon père.
— Oui, Monsieur.
— Il décidera après t’avoir vue, mais, pour ma part,
j’aime fort tes façons et je plaiderai ta cause avec chaleur.
— Oui, Monsieur.
— Et, il fixera aussi tes gages.
— Oui, Monsieur.
— Est-ce que ce petit balluchon à tes pieds contient
toutes tes possessions terrestres ?
— Oui, Monsieur.
— Dans ce cas, en attendant le retour de mon père,
veux-tu prendre chambrette en ce logis ?
— Oui, Monsieur.
J’avais tout dit de ce qu’il y avait à dire : je me tus
et lâchai sa main. J’eusse pourtant écouté avec délices ses « oui,
Monsieur » jusqu’à la fin des siècles, tant la douceur de ses
acquiescements me résonnait dans le cœur.
Me voyant transi et muet, Louison dit, parlant à voix basse
comme si elle ne voulait pas me réveiller :
— Et que fais-je maintenant, Monsieur ?
— Tu vas trouver le majordome pour qu’il te loge céans.
— Oui, Monsieur.
En prononçant ces derniers mots en un murmure, Louison me
fit une plongeante révérence qui me donna fort à voir et se relevant avec
grâce, elle me bailla un autre demi-sourire, et pour faire bonne mesure, un
autre petit brillement de son œil bleu. Après quoi, ramassant son petit
balluchon, elle sortit.
Il était temps qu’elle quittât la pièce : je serais
tombé, je crois.
*
* *
Si fraîches qu’elles m’apparurent après l’aridité de mon
« veuvage », j’ai quelque peu balancé avant d’évoquer ici « les
roses de ma vie », alors qu’étaient en jeu en France et hors de France de
si grands intérêts, lesquels pouvaient, en se choquant, embraser l’Univers.
Mais après tout, je ne comptais pas encore dix-huit ans, mes études
m’occupaient tout entier, je n’avais pas, de reste, à répondre à d’autres
obligations que celles auxquelles un gentilhomme de mon âge est soumis. Et un
illustre exemple se présentait à moi à point nommé pour excuser, sinon pour
absoudre, la frivolité qu’on eût pu reprocher à mes propos, puisqu’il me
présentait l’image d’un grand homme, à qui Dieu avait confié un royaume et qui,
sans avoir l’excuse de la jeunesse, ni celle d’un amour du gentil sesso qui jetait son premier feu, ne craignait pas, au milieu des terribles dangers
qu’il allait affronter, de faire de sa vie deux parts : l’une vouée aux
grandes affaires dont il avait la charge et qu’il ménageait avec une habileté
consommée, et l’autre consacrée à ses amours, qu’il poursuivait avec une
outrance, une imprudence, une naïveté, et, j’oserais dire, une puérilité qui
laissaient pantois ceux qui l’aimaient. Avec quelle stupeur mon père avait
appris que Condé ayant de nouveau ôté la Princesse de la cour et l’ayant
reléguée dans l’une de ses maisons, Henri était allé jusqu’à se déguiser en
valet de chien, avec un emplâtre sur l’œil, afin de pouvoir l’approcher !
Ce fut un risible et pathétique échec : il la vit, mais
ne put l’approcher. Condé, outré, enleva de nouveau sa femme, et l’alla
clôturer plus loin encore au château de Muret, près de Soissons.
Le Roi le convoqua au Louvre ainsi que la Princesse. Condé
vint, mais il vint seul. « Je vais vous démarier ! » cria le Roi
très à la fureur. « Rien ne me contenterait davantage, dit Condé, mais
tant que la Princesse portera mon nom, elle ne sortira pas de ma maison. »
Le Roi ne se connaissait plus. Condé se retira en hâte, courut
se plaindre à Sully et, en termes voilés, menaça de quitter le royaume. Ces
menaces ne furent faites qu’à seule fin qu’elles fussent répétées et elles le
furent dans l’heure, tant elles effrayèrent Sully. Le premier prince du sang,
s’il franchissait une frontière, où pourrait-il se mettre à l’abri de la colère
d’Henri ? – où, sinon dans les mains du roi d’Espagne, qui ferait de
lui un outil contre le roi de France ?
Sully conseilla au Roi d’embastiller incontinent le
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