La Volte Des Vertugadins
doigt, le remit incontinent à sa place.
— Ventre de biche ! dit-il, ou dois-je dire :
ventre de toi ! sache-le : qui ne dit rien, n’a rien.
— Monsieur, reprit la coquette avec effort, nous vous
demandons ceci : est-il vrai…
— Parle, testebleu !
— Est-il vrai qu’une fée fut amoureuse jadis d’un de
vos ancêtres allemands et que c’est la raison pour laquelle vous êtes le beau
cavalier que voilà.
— Pour la fée, cela est vrai, dit Bassompierre. Et
c’est vrai aussi que j’ai hérité de cet amour-là un privilège unique. Mais il
n’est pas celui que vous dites.
— Ah ! Monsieur ! Contez-nous ce roman !
dirent les nièces d’une seule voix. (Expression un peu sotte que
j’emploie pour la rapidité du discours.)
— Ce n’est pas un roman, dit Bassompierre. Vous ne
trouverez pas ici une Astrée qui fait languir un Céladon. Chez les fées les
choses se passent plus naturellement que chez nos hautes dames car, n’étant pas
mortelles, elles n’ont point d’honneur à défendre.
— Monsieur, dit une des nièces, je ne vous entends pas.
— Vous m’entendrez à ouïr la suite. La voici. En
traversant un certain bois où il chassait d’ordinaire à l’affût, mon ancêtre
allemand, le Comte d’Orgevilliers, rencontra une fée d’une beauté éclatante.
Celle-ci, l’ayant envisagé un moment en silence la tête penchée sur l’épaule,
le prit sans un mot par la main, l’emmena dans une Sommerhaus – ou
comme on dit en français, une maison d’été –, laquelle, de reste,
appartenait au Comte, et là, se dévêtant, elle se donna à lui.
— Quoi ? dit la coquette. Sans qu’on lui ait fait
la cour ? Tout de gob ! Et même sans dire un mot ?
— Les mots vinrent après. Et garde-toi, M’amie, de
traiter la fée en ton for de dévergognée car elle entendrait, à coup sûr, ta
pensée et pour te punir, elle te rendrait d’un coup de baguette aussi laide que
Léonora Galigaï.
— Mais personne, dit La Surie, n’a vu Léonora Galigaï.
— Si, moi ! dit Bassompierre. Elle vit en recluse
dans un petit appartement au Louvre au-dessus de celui de la Reine. Or, une après-midi,
alors que je jouais à la prime avec Sa Gracieuse Majesté, Léonora Galigaï entra
à l’étourdie dans la chambre. Me voyant, elle se retira aussitôt. Ce ne fut
qu’un éclair. Mais je vis deux choses : sa laideur et ses yeux étincelants
d’esprit. Où en étais-je ?
— Aux mots que prononça après coup la fée, dit mon
père.
— Son discours fut succinct. Ayant toute l’éternité
devant elle, elle ne pensait pas que ce fût une raison pour gaspiller son temps
en paroles inutiles. « Mon ami, dit-elle d’une voix basse et musicale,
revenez lundi prochain au bois pour chasser à l’affût. » Ayant dit, elle
disparut. Et le Comte s’en retourna en son château, la chair heureuse et l’âme
inquiète. C’était un bon Allemand, sage et laborieux. Il ne fuyait pas à se donner
peine pour bien ménager ses domaines. Il avait trois filles qu’il aimait sans
excès et une épouse vertueuse à laquelle il s’était accoutumé. Et
naturellement, il redoutait, en cette aventure extravagante, de perdre domaine,
filles et femme, pour ne rien dire de son âme.
— Les perdit-il ? dit mon père.
— Pas du tout. Son domaine prospéra, ses filles
grandirent en beauté, l’humeur de son épouse s’adoucit. Preuve que la fée
n’était pas un succube, comme le Comte l’avait craint d’abord. Cependant, au
bout de deux ans, sa femme, qui avait l’esprit un peu lent, s’avisa que le
lundi, son mari revenait de sa chasse à l’affût la carnassière invariablement
vide. Cette circonstance lui donna à penser et un lundi, elle suivit les traces
du Comte jusqu’à l’affût du bois. Elle le trouva désert. Elle poussa alors
jusqu’à la Sommerhaus où elle vit, étendus sur une couche, nus et
profondément endormis dans les bras l’un de l’autre, son mari et la fée.
— Alors, dit La Surie, elle dégaina sa petite dague et
leur perça le sein.
— Fi donc ! Quel gâchis ! Dans une Sommerhaus ! La Comtesse agit d’une façon autrement avisée. Elle ôta le voile qui
couvrait son chef, le posa sur les pieds des coupables et s’en alla. Quand la
fée se réveilla, elle aperçut le voile et poussa un grand cri. « Ah !
mon ami ! » dit-elle en sanglotant (car toute fée qu’elle fût, elle
savait pleurer), « c’en est fini de
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