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La Volte Des Vertugadins

La Volte Des Vertugadins

Titel: La Volte Des Vertugadins Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Robert Merle
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c’est
qu’il ignore, ou veut ignorer, ce qui s’est passé à ses pieds il y a quelques
années. Vous observerez, mon fils, qu’à cet endroit, la rivière de Seine
dessine une grande courbe. Si bien que le courant étant moins fort sur l’une
des rives, de hautes herbes ont poussé dans l’eau même. C’est dans ces hautes
herbes que des milliers de huguenots massacrés vinrent échouer. On les avait
jetés dans la Seine à Paris après les avoir dagués, et le courant les avait
poussés jusque-là. Cela se passa dans la nuit de la Saint-Barthélemy et en
apprenant cette odieuse nouvelle, le Pape fit allumer des feux de joie sur les
places de Rome. Vous voyez ces herbes et ces joncs. Il y avait là des
centaines, et des centaines de corps.
    Je le regardai. Une larme coulait sur sa joue.
    — Mon fils, dit-il, rappelez-vous Chaillot. Et les
hautes herbes de Chaillot. Et rappelez-vous aussi qu’il faut, certes, aimer
Dieu, mais jamais au point de haïr les hommes.
    Là-dessus, il me tourna le dos et s’en alla retrouver
Monsieur de Bassompierre sous le dais. Monsieur de La Surie lui emboîtant le
pas. Je les suivis au bout d’un moment, me sentant triste et marmiteux.
Pourtant, je n’étais pas assis depuis une minute à ma place qu’une des nièces
de Monsieur de Bassompierre penchant vers moi ses tétins dont son décolleté
donnait à voir une bonne moitié (et ce qui était plus émouvant encore une
petite fente très douillette entre les deux globes jumeaux) me regarda avec des
yeux très doux et me dit avec un sourire enchanteur :
    — Monsieur, ne voulez-vous pas un peu de mon massepain
que voilà ?
    J’oubliai sur l’instant Chaillot, tant je fus bouleversé par
ce regard et ce sourire. Dans ma naïveté, j’imaginais que par eux la friponne
s’offrait à moi. J’acceptai son massepain sans avoir la force d’articuler un
merci. Mon cœur battait. Je n’avais plus de voix. Je me sentais pâlir.
    Dieu que j’étais béjaune ! Je ne savais pas alors que
d’aucunes femmes utilisent ce regard et ce sourire comme de petits appâts
qu’elles lancent perpétuellement autour d’elles pour que l’attention qu’elles
hameçonnent ainsi les conforte dans l’idée, jamais bien assurée chez elles,
qu’elles sont belles et qu’elles plaisent.
    Cependant, quand j’observai que la mignote faisait les mêmes
avances au Chevalier, à mon père et même au géantin timonier à qui elle alla
offrir une friandise qu’il refusa par un grognement sans même condescendre à
lui jeter un œil, j’en conclus que même à un ours elle ferait ce même regard
caressant et ce sourire, si elle pensait pouvoir surprendre en retour en son
œil inhumain une lueur d’admiration. Je déchantai sur l’heure et je le dis à
voix basse à La Surie.
    — Bah ! dit-il, ce n’est rien ! Chez les
hommes aussi il y a des regards et des sourires qui sont de la fausse monnaie.
Il faut apprendre à la distinguer de la vraie…
    J’achevai à peine d’avaler, quoiqu’à contrecœur, le
massepain de ma coquette qu’un ordre en allemand retentit. Et les avirons de la
gabarre se mirent à dénager avec la plus grande vigueur. Voyant que
Bassompierre, mon père et le Chevalier se dirigeaient vers la proue, je laissai
là la traîtresse et les suivis, et je compris alors que nos rameurs ne
battaient l’eau si fort et si vite à contre-courant que pour éviter de heurter
le bac de Neuilly qui à ce moment précis traversait la rivière dans la
direction du petit village de Puteaux.
    — Vous voyez là, dit Bassompierre, le bac que le
carrosse du Roi emprunte à l’accoutumée pour se rendre au château de
Saint-Germain-en-Laye.
    — Est-il constant, dit mon père, qu’un jour il ait
versé ?
    — On a tâché de cacher l’affaire, dit Bassompierre,
mais, à ce que je vois, elle s’est sue.
    — Vous y étiez ?
    — Non pas. Mais La Châtaigneraie m’a tout raconté. Le
cocher avait mal engagé ses chevaux sur le bac. Les deux roues se sont trouvées
dans le vide, et le carrosse a versé du côté où la Reine était assise. Par
bonheur, La Châtaigneraie a promptement plongé et l’a retirée par les cheveux
du fond de la rivière.
    — La Reine ! Par les cheveux ! dit La Surie.
C’est crime de lèse-majesté !
    — Sa Gracieuse Majesté ne s’en est pas offusquée. Elle
a recraché l’eau qu’elle avait bue, repris son souffle et sa première parole a
été pour demander si le Roi était

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