La Volte Des Vertugadins
est, je suis, comme vous le savez,
l’héritier unique de cette botte de Jarnac dont personne n’a jamais réussi à
trouver la parade. Raison pour laquelle je ne provoque personne et personne, à
la cour, ne m’a jamais provoqué. Allons, Madame, allons, fi de ces
dérobades ! Le nom de votre informateur, de grâce !
— Jurez-moi que vous n’irez pas…
— Je viens de vous en assurer.
— C’est mon fils, le Chevalier de Guise.
— Le Chevalier de Guise ! s’écria mon père en
levant les deux bras au ciel, et son visage parut hésiter entre le rire et la fureur.
Le Chevalier, un enfant posthume ! Madame, c’est un comble ! Il
n’était même pas né lors de la meurtrerie de Blois ! Si je ne m’abuse, il
a vu le jour sept mois après la mort de son père. Que peut-il en savoir ?
N’auriez-vous pas dû penser que cet écervelé ne faisait que répéter un cancan
de cour qu’il avait entendu. Ah ! Madame ! Votre famille me
navre ! Il vous reste quatre fils…
— Cinq, dit Madame de Guise à mi-voix.
— Et de ces quatre-là, dit mon père qui feignit de ne
l’avoir pas ouïe, le seul à n’avoir pas de dettes, c’est l’archevêque de Reims.
Pendant ce temps, votre aîné, le Duc de Guise, se vautre dans la fainéantise et
les extravagances. À ce que j’ai ouï, il élève maintenant dans son hôtel une
lionne, en compagnie de qui il affecte de déjeuner… À Dieu ne plaise qu’il ne
lui serve un jour de repas !
— Monsieur !
— Le Prince de Joinville, assurément le mieux venu de
vos lionceaux, Madame, et le seul qui ait quelque esprit, le gâche à courir
comme fol le cotillon.
— Vous le courûtes aussi.
— Mais point comme un fol, Madame. Il ne me serait
jamais venu dans l’esprit de faire la cour à la maîtresse du Roi !
— Vous savez aussi bien que moi que le Roi délaisse
cette année la Comtesse de Moret et n’a d’yeux que pour Charlotte des Essarts.
— Mais il lui déplaît qu’on vienne tremper les lèvres
dans la coupe où il a bu et qu’il ne met de côté que pour y revenir. Et quant
au Chevalier de Guise qui est si pieux qu’on l’a fait Chevalier de Malte, et si
perspicace qu’à l’état de fœtus il avait déjà des lumières sur le meurtre de
Blois, tout un chacun à la cour, et vous-même la première, connaît son
caractère : médisant sans fondement, querelleur sans motif, brouillon à
n’y pas croire et si haut à la main qu’il y a fort à parier qu’il se mettra
quelque jour une très vilaine affaire sur les bras.
— Ah ! Monsieur ! Vous êtes trop dur !
— Point du tout, je dis vrai.
— Du moins ne pouvez-vous pas médire de ma fille. Le
monde entier l’admire.
— Louise-Marguerite est assurément fort belle. Elle a
aussi beaucoup d’esprit et elle est très enjouée, mais pourquoi, Madame,
pourquoi a-t-il fallu qu’elle épouse un aussi étrange barbon que le Prince de
Conti ?
— Ah ! Monsieur ! On ne dit pas ces choses-là
d’un prince du sang ! En outre, le Prince de Conti est fort riche et vous
n’ignorez pas qu’il y a des mariages qui vous libèrent une femme sans du tout
lui peser.
— L’affreuse morale que voilà !
— C’est vous qui êtes affreux, Monsieur, de me dire
tant de mal des miens. Je vous en garde une mauvaise dent et ne consentirai à vous
pardonner que si vous venez à mon bal le seize août.
Et tout soudain, sa grande colère oubliée, Madame de Guise
s’approcha de mon père, lui prit les deux mains dans les siennes et l’envisagea
d’un air naïf et cajolant.
— Je n’irai pas, Madame, je vous l’ai déjà dit.
— Oh ! Monsieur ! Si vous m’aimez, vous
viendrez. Pour-riez-vous me faire cette écorne ? Vous viendrez, et avec
vous mon beau filleul ! À quoi servirait-il que je lui aie donné un maître
à danser, s’il ne danse jamais ?
À cela, mon père ne répondit ni oui ni non, mais pour ma
part, j’en avais assez entendu pour juger que ma présence n’était plus
souhaitée. Je n’eus garde de demander mon congé. Je quittai la pièce à pattes
de velours et gagnai ma chambrette où à ma grande déception, je ne trouvai pas
Toinon. Ah ! que vide, ingrate, froide et inhospitalière me parut alors
cette petite pièce ! Je redescendis en courant à l’office où je m’enquis
auprès de Greta du lieu où ma soubrette pouvait bien se trouver.
— Mon mignon, dit Greta, Toinon t’a atten tu une
grosse heure dans ta
Weitere Kostenlose Bücher