La Volte Des Vertugadins
Fogacer avait retardé mon départ, j’avais
rongé mon frein et je n’en fus que plus marri du commandement de mon père
d’avoir à demeurer, lequel retardait derechef ma sieste avec Toinon. Et malgré
mon affection pour la Duchesse, je conçus à cet instant un vif dépit de n’avoir
pas demandé mon congé avant que la Duchesse n’entrât dans notre salle.
— Restez, mon fils, répéta mon père. Je ne sais pas
encore la cause de cette vague déferlante qui nous tombe dessus, mais je gage
qu’ayant monté comme l’écume, elle en a la consistance.
— Que veut dire cela ? dit la Duchesse, que cette
image déconcertait.
— Qu’il s’agit en toute probabilité d’une querelle de
rien.
— De rien ? s’écria Madame de Guise, très à la
fureur, de rien ? Est-ce rien de vous dire de me rayer dorénavant du
nombre de vos amis pour la raison que je ne veux plus voir céans, ou ailleurs,
en ce monde, ou dans l’autre, votre traîtreuse face ?
— Dans ce cas, Madame, dit mon père en s’inclinant,
voulez-vous me permettre de vous raccompagner incontinent à votre carrosse et
de vous souhaiter bon retour en votre Hôtel de Grenelle.
— Quoi ! Vous ne voulez même pas m’entendre ?
cria la Duchesse.
— Madame, à quoi bon ? Je suis déjà jugé, puisque
vous avez déclaré la rupture avant d’énoncer le grief.
— Monsieur, dit la Duchesse, je n’entends rien à ce
jargon. Ne croyez pas m’égarer par vos arguties. J’ai à vous adresser un
capital reproche et par les dix mille diables de l’enfer, je le ferai, que cela
vous plaise ou non !
— Madame, dit mon père en s’inclinant de nouveau avec
froideur, laissons les dix mille diables bien au chaud en enfer et après cette
hurlante préface, entrons, puisqu’il vous plaît, dans le vif du sujet.
Chose étrange, la Duchesse hésita avant de lancer son
« capital reproche ».
— Monsieur, dit-elle enfin, j’ai appris ce matin
qu’indubitablement, vous aviez mis la main à l’assassinat de mon défunt mari.
— J’ai mis la main à l’assassinat du Duc de
Guise ? dit mon père, dont le calme laissa place à la stupéfaction. Et
comment y ai-je mis la main. Madame ? Pouvez-vous me le dire ? Ai-je
été partie à la conception de ce meurtre ? Ou ai-je été partie à son
exécution ?
— Je ne saurais dire, dit la Duchesse, dont l’assurance
parut ébranlée.
— Comment cela ? Vous ne sauriez dire ? Il
faut bien pourtant que ce soit l’un ou l’autre.
— Je ne saurais dire, répéta la Duchesse.
— Eh bien. Madame, puisque vous ne le savez pas, je
vais vous l’apprendre. Le projet de mettre fin à la vie du Duc de Guise fut
envisagé par le roi Henri Troisième pour ce qu’il craignait que, s’étant rendu
maître de Paris et l’ayant chassé de sa capitale, le Duc n’en vînt avec lui à
la dernière extrémité pour se saisir de son trône. Cette décision fut prise à
Blois par le Roi, assisté d’un Conseil réduit, auquel je n’appartenais pas,
n’étant que le médecin de Sa Majesté. Et l’exécution de ce projet fut faite
dans la chambre du Roi par huit de ses gardes particuliers. Quant à mon rollet
dans l’affaire, Madame, il se borna à ceci : après la meurtrerie du Duc,
je fus appelé en qualité de médecin par le Roi pour constater la mort de votre
mari.
— Mais vous me l’avez caché jusqu’ici ! s’écria Madame
de Guise. N’est-ce pas de la dernière offense ? De tout le temps que je
vous ai connu, vous ne m’en avez jamais touché mot !
— Madame, pourquoi l’aurais-je fait ? Allais-je
vous attrister par l’évocation de ce macabre examen ? Et ne savais-je pas
que vous n’ignoriez rien de tout ce qui s’était passé à Blois, grâce au père de
Monsieur de Bassompierre qui, s’échappant à temps de la ville, avait gagné
Paris à brides avalées pour vous en avertir et tâcher de vous en consoler.
À ces paroles, Madame de Guise rosit et ne sut que répondre.
Sur quoi mon père, qui me parut ne pas avoir évoqué sans intention la visite du
père de Bassompierre, poussa sa pointe plus avant.
— Et pouvez-vous me dire, Madame, quel est celui qui
vous a mis dans la cervelle cet injuste soupçon ?
— Je m’en garderai bien, Monsieur. Vous l’iriez
provoquer.
— Mais non, mais non, Madame ! s’écria mon père
avec véhémence. Mais non, je n’ai pas affaire à cela ! Je tiens le duel
pour une détestable pratique. Qui plus
Weitere Kostenlose Bücher