La Volte Des Vertugadins
Dauphin, Monsieur ?
— D’après Héroard, le Dauphin, parce qu’il parle peu et
mal, n’a pas beaucoup de montre, mais il ne manque pas d’esprit. Il observe, il
se tait, il juge. Et soyez assuré qu’il n’a pas oublié votre petite arbalète,
qu’il a été touché de ce don et qu’il en a parlé au Roi.
— Pardonnez-moi, Monsieur mon père, mais je ne puis
croire que j’ai été nommé Chevalier pour avoir baillé une petite arbalète au
Dauphin.
— Vous avez raison. Il n’y a pas que cela. Le Roi est
un Bourbon et vous en êtes un aussi.
Je rougis et restai coi, non certes de confusion, mais parce
que c’était la première fois, en notre logis, que ma naissance était sans
ambages évoquée. Je me sentis si ému que je mis les mains derrière le dos et
les serrai l’une contre l’autre pour les empêcher de trembler. Je ne laissai
pas alors d’apercevoir qu’il y avait un monde de différence entre une vérité
qui est sue de tous sans qu’on en pipe mot et une vérité qui grandit tout
soudain en force et prend un sens nouveau, du seul fait qu’on en parle.
— L’ignoriez-vous, Monsieur mon fils ?
Mon père s’exprimait comme toujours avec une certaine cérémonie,
mais sa voix et ses yeux trahissaient tant de bonté et d’affection pour moi que
le désir me prit de me jeter dans ses bras. Toutefois, je ne le fis point,
craignant de l’embarrasser.
— Non, Monsieur mon père, dis-je, parlant d’une voix
que je trouvai un peu sourde. Je l’ai su dès ma prime enfance. Mes nourrices en
babillaient beaucoup devant moi, pensant que j’étais trop jeune pour entendre.
Mais, une chose m’échappe. Comment le Roi peut-il tenir compte de ma naissance
puisqu’elle n’est pas légitime ? L’Église nous enseigne que le mariage est
un lien sacré.
— Mais le Roi, dit mon père avec un petit rire, a très
peu le sentiment du sacré ! Et comment l’aurait-il, lui que les
circonstances ont contraint de changer si souvent de religion ? En outre, pour
un gentilhomme de vieille race comme Henri, le sang compte plus que le mariage.
Pour lui, étant, par Madame de Guise, le petit-fils de Marguerite de Bourbon,
vous êtes son petit cousin. Toutefois, en vous nommant, il ne fait pas
qu’honorer son sang. Il honore aussi un Siorac. Au pire des guerres civiles,
les Siorac n’ont jamais écouté les sirènes de la rébellion. Ils sont demeurés
adamantinement fidèles à leur Roi, même quand celui-ci, et ce fut le cas pour
Charles IX, persécutait les huguenots.
— Il reste, Monsieur mon père, que je n’ai pas mérité
cet avancement.
— Vous avez l’avenir pour le mériter. Soyez bien assuré
que le Roi escompte bien que cette distinction vous attachera à lui et au
Dauphin.
Après cela, nous demeurâmes silencieux, nous regardant œil à
œil, mais chacun plongé dans ses propres pensées, lesquelles étaient, chez mon
père, teintées, me sembla-t-il, de quelque mélancolie alors que les miennes
frémissaient d’un appétit impatient de l’avenir. Me souvenant tout soudain de
ce que mon père m’avait dit sur le caractère « cordial et impérieux »
du billet royal, je m’avisai que le souhait du Roi de nous voir le seize août
chez Madame de Guise équivalait à un ordre. Cette pensée m’égaya.
— Vous souriez ? dit mon père en levant un
sourcil.
— Oui, Monsieur mon père, dis-je aussitôt. Dois-je vous
dire ce que je viens de me penser ?
— Vous n’y avez pas obligation. Dites-le, si vous le
voulez.
— Je ne voudrais pas vous offenser.
— Mais vous ne m’offenserez pas.
— Eh bien, je pense que le seize août, nous irons à ce
bal…
Mon père se prit à rire et venant à moi, il me donna une
forte brassée et me baisa les deux joues.
— Vos talents me font parfois oublier que vous êtes
encore un enfant ! Mais vous le serez de moins en moins. Je le vois bien
clairement.
*
* *
Le seize août, Madame de Guise, sur le coup de midi, dépêcha
un petit vas-y-dire porter un billet à mon père, lequel l’ayant lu me le tendit
en disant :
— Aimez Madame de Guise, respectez-la, mais n’écrivez
pas comme elle.
Voici le billet :
« Mon nami.
« Dépâiché-moi mon fiieul a huit eure an ma méson. Je
lui anveré ma carose. Je le veu voire une eure avan mon bale.
Catherine. »
— Une heure avant, dis-je, que me veut-elle ?
— Vous donner ses instructions, je gage.
— Me baillerez-vous
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