Bücher online kostenlos Kostenlos Online Lesen
La Volte Des Vertugadins

La Volte Des Vertugadins

Titel: La Volte Des Vertugadins Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Robert Merle
Vom Netzwerk:
précédé d’une cour au moins le double de la nôtre. Un
corpulent et majestueux gentilhomme m’accueillit dès qu’un des Suisses m’eut
ouvert la portière et déplié le marchepied.
    — Monsieur le Chevalier, dit-il avec un profond salut,
je suis votre humble serviteur. Plaise à vous de me permettre de me
nommer : je suis Monsieur de Réchignevoisin, maggiordomo de Son
Altesse. Toutefois, elle préfère m’appeler son chambellan.
    — Monsieur le chambellan, dis-je, je suis votre serviteur.
    Après m’avoir enveloppé d’un regard doux et bienveillant,
Monsieur de Réchignevoisin parut content de moi et voulut bien me sourire. Je
lui contresouris, ce qui me fut facile, son nom m’ayant quelque peu amusé, tant
il s’accordait mal avec son apparence. Il se pouvait, assurément, qu’un de ses
ancêtres eût mérité ce patronyme par son humeur hérissée. Mais le
Réchignevoisin que je voyais devant moi portait sur son visage et dans toute sa
personne une telle suavité qu’il était impossible même de supposer qu’il pût un
jour se quereller, fût-ce avec le diable. Il avait une tête ronde, des yeux
ronds à fleur de tête, un nez arrondi du bout, des lèvres épaisses et ourlées,
une bedondaine qui paraissait être là pour amortir les chocs et de grosses jambes
sur lesquelles, en marchant, il paraissait rebondir. Sa voix se maintenait si
constamment dans les notes basses et chuchotées qu’elle ne pouvait manquer
d’avoir, sur son interlocuteur, une influence apaisante et, à l’ouïr, je ne
laissais pas d’imaginer combien son inaltérable douceur devait être utile dans
ses rapports avec Madame de Guise – à elle autant qu’à lui.
    — Monsieur le Chevalier, dit-il. Son Altesse désire que
je vous montre notre grand’salle avant de vous mener à elle. Ce qui sera
facile, ajouta-t-il avec un sourire qui fit refluer ses grosses joues rondes
vers ses oreilles, et je dirais même inévitable puisque, pour atteindre la
chambre de Son Altesse, il faut passer par la grand’salle.
    Il se peut que le lecteur, enfant, ait jeté un ballon du haut
d’un escalier et l’ait regardé avec ébaudissement rebondir de marche en marche
jusqu’en bas. Qu’il imagine – violant en son esprit les lois
naturelles – que le ballon remonte jusqu’à lui de degré en degré, et il se
fera une juste idée de la façon dont Monsieur de Réchignevoisin gravit devant
moi le perron qui menait au premier étage, me laissant ébahi par la légèreté de
ce gros homme et l’élasticité de son pas. Et bien que ce perron fût haut assez,
étant élevé au-dessus d’un rez-de-chaussée où se logeaient sans doute les
services et le nombreux domestique de l’hôtel, mon agile chambellan, parvenu au
palier, ne souffla même pas pour reprendre son souffle.
    — Voilà notre grand’salle. On prétend qu’au Louvre
même, il n’y en a pas de plus belle, dit-il avec un geste rond et ample de la
main, tandis qu’il distillait aimablement dans mon oreille les syllabes de ses
mots, lesquels, en passant par sa bouche, devenaient lisses comme la peau d’un
enfant et doux comme du miel.
    Je n’avais encore jamais vu l’intérieur du Louvre, ni aucune
de ses nobles galeries, mais celle-ci m’éblouit par ses dimensions et son luxe.
Elle n’avait pas moins de quinze toises [12] de long sur six toises de large et ne comptait pas moins de trois lustres portant
chacun une centaine de chandelles. Elles n’étaient pas allumées encore, pas
plus que les bras d’argent qui, à intervalles réguliers, paraissaient sortir
des murs pour porter infatigablement des bouquets… j’allais dire de chandelles,
mais Monsieur de Réchignevoisin, courtoisement, précisa : il s’agissait de
bougies parfumées fabriquées en Afrique. Le jour que dispensaient des deux
parts les grandes fenêtres à meneaux était en cette soirée de la mi-août
suffisant encore pour permettre au domestique de l’hôtel de se livrer aux
derniers apprêts. Comme j’entrais, de robustes laquais vêtus de la livrée de
Guise, laquelle comportait dans le dos une grande croix de Lorraine, étaient
occupés à rouler (et non comme on aurait pu croire, à dérouler pour moi) deux fastueux
tapis de Turquie qui furent emportés incontinent et dévoilèrent un parquet
marqueté assurément plus propre à la danse.
    — Au mur, à votre dextre, dit Monsieur de
Réchignevoisin sur le ton de la plus intime confidence, vous voyez des
tapisseries

Weitere Kostenlose Bücher