La Volte Des Vertugadins
chanson mais, chose bizarre, les grandes louanges
dont elles me caressèrent ne réussirent pas tout à fait à guérir la blessure
que m’avait laissée la griffe de Toinon. À ce jour encore, je m’en souviens
avec déplaisir, quoique sans aigreur, entendant bien que ma soubrette aimait le
bal autant qu’une autre et qu’elle n’était pas fort contente de demeurer au logis
dans le temps que j’allais m’ébattre avec des garcelettes dont, n’étant pas
née, elle n’aurait jamais la vêture, les bijoux, les grâces et les façons.
J’étais prêt depuis une demi-heure à peine quand le carrosse
de Madame de Guise, rutilant d’or, armorié sur les portes, tiré par quatre
superbes chevaux alezans, conduit par un cocher en non moins superbe livrée aux
couleurs des Guise et portant sur le marchepied deux Suisses géantins et
chamarrés, demanda l’entrant dans notre cour. Cela ne se fit pas sans quelque
vacarme et aux fenêtres de notre logis apparurent les visages de nos fraîches
chambrières, lesquelles s’ébaudirent fort à contempler cet équipage, tirant
grande fierté du fait qu’il vînt pour moi et les joues déjà gonflées des contes
qu’elles allaient en faire chez les bons becs de notre rue. La porte du
carrosse m’étant ouverte par un des Suisses, et tandis qu’il abaissait le
marchepied, je levai la tête vers elles et leur fis un grand salut de mon
chapeau dont les plumes parme et vert amande rappelaient les couleurs de mon
pourpoint. Elles furent ravies de cette bonnetade et, riant, frétillant,
claquant des mains, elles me firent une grande ovation, comme si elles avaient
assisté à la comédie.
« Et c’en était une, en effet, me dit mon père plus
tard. Que seraient les fastes de nos Grands sans le bon peuple qui, bouche bée,
les regarde et les applaudit ? »
*
* *
Ce n’est qu’une fois assis dans le carrosse de Madame de
Guise que je m’avisai n’avoir point vu Toinon parmi celles qui étaient postées
aux fenêtres. J’aurais été enclin à m’attrister de la savoir seule au logis, si
elle ne m’avait point lancé cette méchante remarque sur mon nez, laquelle je ne
pouvais oublier sans oublier aussi celle qui l’avait faite. C’est ainsi que je
fus un peu méchant à mon tour en la chassant de mes pensées, tâchant d’amuser
mes regards à détailler l’intérieur du carrosse où j’avais pris place quasi
voluptueusement, tant son luxe me plaisait.
Il est de fait qu’il n’avait rien de la simplicité spartiate
du nôtre, dont les banquettes avaient reçu un cuir grossier (matière choisie
par mon père pour sa durabilité) et dont une serge grise revêtait les
parois : « Je n’ai jamais rien vu de plus conventuel ! »
dit Bassompierre qui se hasarda un jour à y monter avec mon père. Le siège sur
lequel je me prélassais, tandis que le cocher de Madame de Guise me conduisait
à l’Hôtel de Grenelle, ne laissait rien, pour sa part, à désirer quant au
moelleux, étant recouvert, ainsi que les côtés des deux portes, d’un capiton de
velours bleu pâle, souligné aux quatre encoignures par des galons d’or, le tout
mettant très en valeur les rideaux des fenêtres taillés dans un damas bleu de
nuit orné de grands feuillages noirs. Décoration fort belle, mais deux fois
coûteuse, opinai-je (le fils du huguenot reprenant le dessus), d’abord pour
l’agencer, aussi pour la refaire quand elle fanera.
C’était la première fois que je mettais les pieds dans ce
merveilleux carrosse et la première fois aussi que j’étais invité à l’Hôtel de
Grenelle. Preuve, me disais-je, que les temps ont changé, que je suis
maintenant, sinon tout à fait reconnu, du moins reçu comme si je l’étais. Je
discernais la différence, mais ne m’en désolais pas, mon ambition ne me portant
pas du côté des honneurs hérités. On pensera que c’était bien outrecuidant, à
l’âge que j’avais alors, de parler d’ambition. Pourtant, si ces buts étaient
encore peu précis, l’aspiration et l’énergie qui me permettraient un jour de
les atteindre se trouvaient déjà en moi et je les y sentais frémir.
Fort différent de l’Hôtel de Nevers où habitait son
beau-frère le Duc de Mayenne et qui, étant récent, se trouvait construit en
appareillage de pierres et de briques (nouveauté damnable ! disait mon
père) l’Hôtel de Madame de Guise était fait de belles et bonnes pierres, avec
des fenêtres à meneaux et
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