La Volte Des Vertugadins
les vôtres, Monsieur mon
père ?
— Une seule suffira, que vous connaissez déjà. Ne
dardez pas trop longtemps, ni trop souvent, sur la même personne, homme ou
femme, vos insatiables regards. Apprenez à regarder l’objet de votre intérêt en
l’effleurant de l’œil, comme font si bien les femmes. Pour le reste, je me fie
à votre discernement.
Il y eut une vive picoterie entre mes nourrices et Toinon
pour savoir à qui reviendrait l’honneur de m’aider à me parer et à me vêtir
pour le bal, les premières arguant qu’elles l’avaient toujours fait depuis mes
maillots et enfances, et la seconde qu’elle le faisait (ainsi que mon lit, ma
chambre et plus encore) depuis que j’avais atteint l’âge d’homme. On en était à
se parler à l’office avec les grosses dents, quand Monsieur de La Surie, député
par la justice seigneuriale du Marquis de Siorac pour ramener l’ordre dans
notre domestique, trancha : à Toinon de me faire la barbe et de me boucler
le cheveu, talent qu’elle avait appris au service de Monsieur de Bassompierre,
et aux nourrices de m’attifurer.
Toinon se tira de sa tâche avec beaucoup d’art, mais d’un
air rechigné et en me faisant la mine. Comme je lui voyais à la main un fer à
friser, je lui dis :
— Toinon, vas-tu me frisotter ?
— Non, dit-elle d’un ton roide et docte. C’est le
cheveu de la femme qui se frisotte en petites bouclettes, lesquelles pendent le
long des joues. Le cheveu de l’homme, bien qu’il soit tout aussi long, se
frise, lui, en larges vagues qui passent par-dessus l’oreille et vont finir sur
l’encolure.
— Le mien va donc ainsi finir.
— Il le faut. C’est le bel air. Et c’est bien gâché sur
vous, vu que l’un dans l’autre, vous n’êtes pas bien beau.
— Comment cela ? dis-je, piqué. Il n’y a pas huit
jours, tu disais le contraire !
— C’est que je tâchai de vous consoler de ne pas aller
à ce bal du diable.
— C’est donc que tu parles ce jour d’hui par dépit.
— Non, Monsieur. Je vous dis la vérité. Vous n’êtes pas
fort laid, assurément. Outre que vous êtes grand et fort, vous avez le bel œil
et bien regardant. Et le cheveu n’est point mal non plus, étant blond, épais et
facile à travailler. Mais le nez !
Ayant dit, elle se tut d’un ton de profonde commisération.
— Le nez ? dis-je, en saisissant sur la toilette
un petit miroir de Venise et en me regardant, perplexe. J’ai le nez de mon
père.
— Point du tout. Celui de votre père est court et
droit. Le vôtre est long et qui pis est, un peu courbe du bout. À peu qu’on
soit tenté de dire qu’il est juif.
— Juif, mon nez !
Je posai le miroir sur la commode et, la mine froide, je ne
dis mot, attendant que Toinon vint à résipiscence. Ce qu’elle fit, non par
crainte de moi, mais par crainte d’être tancée par mon père, si je lui répétais
son propos.
— Enfin, dit-elle, chez un homme, cela peut
aller ! Mieux vaut un nez point trop joli comme le vôtre que pas de nez du
tout, comme le Duc de Guise. Pas de nez, point de vit. Voilà ce que je dis.
— Billevesées que cela ! Le Duc de Guise court le
cotillon.
— Bonne Vierge, je me demande bien avec quoi !
— Toinon ! Invoquer la Vierge en parlant de nez et
de vit !
— C’est vrai, dit Toinon en rougissant fort en sa
vergogne. Ah ! pardon mille fois, bonne Vierge !
Et passant le fer à friser de la main droite à sa main
gauche, elle se signa de sa dextre.
— Crois-tu, dis-je d’un air de dérision, qu’un signe de
croix va suffire à apaiser la Sainte Vierge, vu que tu l’as si fort
offensée ?
Et non sans user à son endroit d’une contreperfidie, je
repris, la sachant très ménagère de ses deniers :
— À mon avis, tu ne t’en tireras pas à moins d’une
grande et forte chandelle devant l’autel de la Vierge.
— Une grande et forte chandelle ! cria-t-elle,
effrayée. Ma fé ! Me voulez-vous ruiner ?
Et de ruminer sa ruine, cela lui ferma le bec. De mon côté,
je restai clos comme huître, lui gardant une fort mauvaise dent d’avoir tâché
d’ébranler les espoirs que je fondais sur ma bonne mine pour conquérir les
belles de ce bal. Le lecteur se ressouvient sans doute que j’étais alors si
jeune et si niais que toute femme me paraissait aussi docile à mes désirs que
l’avait été ma soubrette.
Ce fut avec mes nourrices, quand elles m’aidèrent à
m’habiller, une tout autre
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