L'absent
ancêtres…
— Mais si : c’est une bonne perspective. Et puis,
plus nous avançons dans la vie, plus les morts nous entourent. Arrive même un
moment où nous connaissons plus de morts que de vivants. Nous cheminons avec ce
cortège de fantômes familiers, et les livres savent les ressusciter. Drieu n’a
peut-être jamais eu autant de volume que dans Présence des morts de Berl
ou La Panoplie littéraire de Frank. Quand je sors de ma rue parisienne,
près des anciennes Halles, je sais que Victor Hugo, à tel endroit, alors qu’il
écrivait Notre-Dame de Paris, a vu de ses yeux, en 1832, la barricade de
la rue des Petits-Carreaux dont il se servira dans ses Misérables. Je
sais aussi que sur le quai, là, en face de la tour de l’Horloge, des marchands
vendaient sous la Terreur les cheveux des décapités, dont on faisait des
perruques. Les murs de nos villes, les collines, les lieux sont imprégnés de
souvenirs très vifs.
— Le monde contemporain, tout de même, n’a plus
grand-chose en commun avec ces siècles révolus…
— Là encore, vous faites erreur. L’essentiel n’a pas
changé, et nous n’avons guère évolué depuis Homère. Si la redoutable avancée
technique va, à terme, modifier la cervelle des futures générations, on peut
avancer que Cicéron avait prévu l’action néfaste des écrans.
— Soyez sérieux cinq minutes ! Cicéron vivait au
premier siècle de notre ère, et je ne l’imagine pas devant la télé !
— Mais lui, si. Dans le Comment réussir à échouer de l’excellent Paul Watzlawick, l’une des sommités de l’école de Palo Alto, je
lis ce court texte de Cicéron, assez troublant : « Si nous sommes
contraints, à chaque heure, de regarder ou d’écouter d’horribles événements, ce
flux constant d’impressions affreuses privera même le plus délicat d’entre nous
de tout respect pour l’humanité. »
— Il ne l’a pas bidouillée, sa traduction, votre
professeur ?
— Ce n’est pas son genre.
— Bon. Mais le présent ?
— Pour le traiter il y a le journalisme. Je préfère les
reportages de Dos Passos à ses romans.
— Si je ne suis pas convaincu ?
— Je ne cherche pas à vous convaincre.
— Vraiment ?
— Je m’en fiche, je m’en contrefiche et je m’en archi-contrefiche.
Voyager dans le temps est un plaisir de gourmet.
2. – QUE SONT-ILS DEVENUS ?
• Le comte Jean-René Pierre de SÉMALLÉ est assez vite écarté de la Cour et son complot reste
secret. Des extraits de ses souvenirs sont publiés en 1826 et réutilisés en
notes dans un volume sur Talleyrand, publié en 1853 par l’imprimeur Michaud. Il
meurt à Versailles, dans l’ancienne propriété de la Pompadour, âgé de
quatre-vingt-onze ans : il avait pris froid à la messe. Son petit-fils
publie enfin ses Souvenirs en 1898.
• DESFIEUX-BEAUJEU ,
marquis de la Grange, est chargé en 1815 de soulever plusieurs départements en
faveur du roi, mais il ne réussira jamais à se faire rembourser ses frais de
voyage. Il n’obtient pas davantage la retraite de son grade de commissaire
royal.
• MORIN devient
chef de la 1 re division au ministère de la Police. Il finit
dans la misère.
• Marie Armand de GUÉRY
DE MAUBREUIL s’installe en Angleterre dès sa sortie de prison. Il a
dénoncé le tsar de Russie, le roi de Prusse et les Bourbons pour se disculper
de l’attentat prévu contre Napoléon.
• Le chevalier GUÉRIN DE
BRUSLART est nommé maréchal de camp en 1816 par Louis XVIII, mais
relégué en non-activité. Il a un passé de conspirateur trop gênant. Il meurt à
Paris le 10 décembre 1829, dans sa maison du 74, rue Saint-Dominique. Il
n’a droit à aucune oraison funèbre.
• Hugues-Bernard MARET ,
duc de BASSANO , retrouve pendant les
Cent-Jours son poste de secrétaire d’État. Après Waterloo il s’exile en
Autriche où il reste jusqu’en 1820. Louis-Philippe le nomme pair de France en
1831. Il meurt à Paris huit ans plus tard.
• André PONS DE
L’HÉRAULT devient préfet du Rhône pendant les Cent-Jours. Il demande à
accompagner l’Empereur dans son exil de Sainte-Hélène mais on le lui refuse. Il
vit lui-même en exil jusqu’en 1830 où Louis-Philippe lui accorde la préfecture
du Jura. Son mauvais caractère le chasse vite de ce poste et il meurt en 1853
après avoir refusé de reconnaître Napoléon III.
• Marie WALEWSKA va épouser le comte d’Ornano. Elle
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