L'absent
chevalier dont il avait emprunté
le nom et la perruque.
Octave était résolu à gagner Fontainebleau pour y rejoindre
le duc de Bassano qui l’employait pour ses talents et son flair, mais
auparavant il pouvait mettre à mal une partie du plan royaliste en éliminant
deux conjurés parmi les plus actifs : La Grange et Morin dormaient en
confiance à quelques mètres de lui ; s’il les tuait, ces bougres n’iraient
plus semer le trouble chez les fonctionnaires de l’Hôtel de Ville et des
mairies. Il prit sa canne d’une main, un bougeoir de l’autre, il avança avec
précaution sans faire craquer le parquet, entra dans le bureau où le marquis
était étendu comme un gisant, la bouche ouverte et les mains sur le ventre. Il
posa le bougeoir sur une commode, serra sa canne à deux mains et allait la
brandir quand le marquis ouvrit un œil et dit d’une voix fraîche et sonore, en
regardant le plafond :
— Vous cherchez une couverture ?
— Oui…
— Vous n’arrivez pas à dormir ?
— Vous non plus.
— Je me repose, faites-en de même : nous avons
devant nous une journée difficile.
— Je sais…
— Et moi je connais votre problème, Blacé, vous vous
interrogez trop.
— Vous croyez ?
— Pas d’inquiétude, mon ami, tout se déroulera comme
nous l’avons décidé. Dieu nous protège.
Décontenancé par le naturel et la confiance naïve de La Grange,
Octave abandonna son projet meurtrier. À quoi rimait sa défaillance ? D’un
coup bien assené il aurait pu éclater le front du marquis, celui-ci n’aurait
pas eu le temps de pousser un cri et d’alerter son complice, ensuite il aurait
exécuté Morin. Il se sentait fatigué et s’interrogeait peut-être trop en
effet ; il n’avait plus cet esprit brut qui convenait à son métier. En
bâillant, il décida d’ajourner son départ. Il saisirait une autre occasion en
devinant la gabegie des jours suivants. Il jeta un dernier regard sur la Seine.
Une lueur d’incendie, loin sur la rive gauche, après le faubourg Saint-Germain,
le laissa perplexe : des cosaques irréguliers avaient-ils profité de la
trêve pour pénétrer sans encombre dans la ville ?
Octave se trompait sur la nature des flammes qui embrasaient
la cour de l’hôtel impérial des Invalides. En réalité, le maréchal Sérurier,
gouverneur de la place, avait ordonné que les trophées remisés dans la chapelle
soient brûlés sur un gigantesque bûcher ; les mille huit cents drapeaux
conquis pendant les guerres de la Révolution et de l’Empire ne devaient pas
tomber aux mains de l’ennemi, ni même le métal des hampes, ni même les cendres
qu’on donnerait dès le matin au fleuve.
Octave se réveilla avant le jour. Il avait dormi peu et mal,
recroquevillé sur le sofa, et il s’assit d’un air hébété, la perruque de
traviole. Morin remplissait deux paniers de ces cocardes blanches qu’il avait
rangées dans son coffre à bois, et il en épinglait à leurs chapeaux. La Grange
était en train de charger ses pistolets :
— Dépêchez-vous, dit-il à Octave, nous partons.
— Déjà ?
— Il est six heures.
— Un rien de toilette et je vous suis…
— Nous n’avons plus le temps. Il faut surprendre la
canaille au saut du lit.
Dehors, l’armée avait disparu. Octave traversait la place de
Grève, flanqué des deux royalistes. Bah, se disait-il, je vais noter des noms,
les retournements, les hésitations des uns et des autres, cela pourra toujours
servir à l’Empereur qui aime les faibles, plus maniables que les convaincus.
Les trois hommes entrèrent sous le porche principal de l’Hôtel de Ville sans
que les gardes nationaux du poste ne songent à leur interdire l’entrée :
on ne contrôle pas des gens qui marchent d’un pas si résolu. Ils montèrent à
leur droite par le grand escalier en pierre qui menait à l’unique étage. Un
employé chauve, vêtu de noir, leva les bras pour s’interposer :
— Messieurs, messieurs ! Où allez-vous ?
Ils ne répondirent pas ; Octave poussa l’employé sur le
côté, avec sa canne, comme un promeneur pliant une branche qui gêne son
passage.
— Messieurs ! glapissait l’autre qui boitillait à
leur suite.
Un second employé voulut les empêcher de continuer en se
plaquant contre les battants d’une grande porte :
— On n’entre pas, c’est le cabinet du préfet !
— Nous devons justement le voir, dit La Grange.
— Impossible !
— Cela nous
Weitere Kostenlose Bücher