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L'absent

L'absent

Titel: L'absent Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Patrick Rambaud
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atroces violoneux et leurs ritournelles,
mais là, assez ! Il n’y a donc jamais de silence ?
    Une chorale de jeunes filles donnait une sérénade devant la
mairie, et Napoléon, agacé, se retira avec Bertrand et Dalesme dans une pièce
plus feutrée. Octave attendait de lui présenter son trop modeste
appartement ; le valet Hubert y avait monté le lit de camp qu’il emportait
dans ses expéditions et disposé quelques bibelots familiers sur les sièges et
les commodes rustiques offerts par des familles locales. M. Pons ne voyant
aucune utilité à veiller, car il était minuit, s’apprêtait à prendre congé
quand la porte se rouvrit sur l’Empereur, affable :
    — Monsieur l’administrateur des mines, pouvez-vous me
donner un déjeuner chez vous, à Rio Marina ?
    — Oui, sire.
    — À neuf heures du matin ?
    — Oui, sire.
    — Le grand maréchal Bertrand m’apprend que les mines ne
fonctionnent plus depuis des semaines, que vous avez délaissé votre belle
maison pour un logis à Porto Ferraio et que mon souhait est impossible à
satisfaire en si peu de temps…
    — C’est très facile, au contraire.
    — Vous voyez, Bertrand, rabat-joie que vous êtes !
dit l’Empereur, puis, revenant à Pons : Dites-moi franchement si ce n’est
pas pour vous un trop grand dérangement…
    — Cela ne me dérange pas du tout, seulement…
    — Seulement quoi ?
    — J’aurai besoin de l’indulgence de Votre Majesté.
    — Je vous l’accorde, mais M me  Pons ?
N’est-ce pas abuser de sa complaisance ?
    — Elle en sera très heureuse.
    — Vous voyez, Bertrand !
    — À neuf heures, Votre Majesté trouvera sa table
servie.
    Encore plus renfrogné, Bertrand raccompagna M. Pons et
lui commanda de mobiliser une population radieuse pour acclamer l’Empereur.
     
    À cinq heures du matin, sous un ciel à peine clair, un
groupe de cavaliers s’engageait dans le tunnel de la Porte de Terre, en bas des
courtines du fort Saint-Hilaire dont on accédait à la herse par un raidillon.
La voûte du tunnel était assez large pour qu’y roulent des grosses berlines de
voyage, mais sombre, froid, très vaguement balisé par la veilleuse d’une niche
grillagée qui abritait une Madone. Cependant, une lueur tremblotante mais plus
vive apparut sur les murailles, au premier coude de la galerie. Les cavaliers
se pressèrent contre la paroi pour laisser passer une procession. Des pénitents
en cagoules pointues portaient des torches fumantes, ils précédaient un prêtre
chauve et un cercueil porté à bout de bras sur une civière sculptée de scènes
bibliques ; d’autres pénitents suivaient au pas, puis des femmes en noir
que cachaient des couronnes de fleurs. L’Empereur ôta son chapeau et il
chuchota au général Dalesme, qui le guidait avec sa suite vers les mines de
Rio :
    — Un enterrement ? À cette heure ?
    — À cause de la chaleur, sire, on enterre avant l’aube
ou à la nuit tombante…
    La procession menait au cimetière un frère de la
Miséricorde ; quand les derniers pénitents tournaient le dos, les
cavaliers purent enfin quitter le tunnel enfumé. Ils débouchèrent sur une route
caillouteuse qui tombait jusqu’au pont-levis d’où l’Empereur découvrit le
village de Ghiaïe, à l’entrée d’une vallée que le soleil levant colorait en
rouge. La distance à parcourir n’était pas longue mais il fallut s’arrêter
souvent pour recevoir les hommages des paysans, à chaque bourgade, à chaque
hameau, et puis les routes étaient mauvaises, étroites, mal tracées. Au pied
des montagnes ils longèrent le golfe puis des ravins, montèrent dans des
pinèdes sauvages, redescendirent par une route bordée d’aloès vers la
forteresse de Porto Longone maçonnée sur des blocs de granit que battaient les
vagues. Au-delà de cette ville commençait le pays du fer ; plus d’arbres,
plus une touffe d’herbe, on doublait des maisons grises, des coteaux cendrés
par les scories de la mine ; le sentier était abîmé par les tombereaux qui
portaient le minerai aux péniches.
    Evviva il Imperatore ! Sur les crêtes, des
ouvriers déployaient leurs bannières neuves, et à Rio Marina, les cent
cinquante mineurs de M. Pons, pics sur l’épaule, acclamaient Sa Majesté.
Les bateliers allumaient les mèches de leurs antiques couleuvrines et les
demoiselles de la région, aux cheveux noirs tressés de rubans, couraient à sa
rencontre en jetant des pétales de fleurs,

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