L'absent
pourpre,
d’hermine et de satin blanc… Et lui aujourd’hui ventripotent sous cette sorte
de parasol bancal… Les canons, les musiques, les cloches et les cris n’avaient
pas cessé ; ces mouches de malheur voletaient autour de vous comme
au-dessus des charognes. L’Empereur se plaça sous le dais pour s’épargner le
soleil brûlant, et la procession s’ébranla, émouvante et grotesque, les
tambours devant, trois coups sourds puis trois roulements plus funèbres que
solennels.
Après la Porte de Mer, dans la ville, les fantassins de
Dalesme renforcèrent une garde nationale dépassée par l’événement ; ils
ouvraient une voie difficile au milieu de la foule déchaînée. Il y avait du
monde aux fenêtres fleuries, aux balcons tendus de châles de soie, il y avait
du monde plein les tribunes et jusque sur les toits. Des dames en turbans et
spencers se tassaient à côté d’ouvriers en vestes sans cols, de sauvageonnes
seulement vêtues de fleurs, de chiffons et de bijoux sonores. Evviva il
Imperatore ! Les mouchoirs s’envolaient, des pétales de rose tombaient
en pluie, les hommes levaient leurs tricornes ou leurs chapeaux hauts de forme.
Les hirondelles qu’affolait le canon tournoyaient en bandes au-dessus de la
cohue, elles se prenaient quelquefois dans les festons de papier tendus entre
les maisons, les branches de palmiers, les drapeaux approximatifs cousus dans
la nuit. Pour ajouter à la cacophonie, des garnements balançaient des pétards
dont certains explosèrent entre les jambes de l’Empereur, et Mgr Arrighi, rouge
de colère, montrait le poing et bottait des fesses. La procession avançait avec
peine sur des brassées de myrte et de buis : le court trajet dura près
d’une heure avant qu’on atteigne le parvis du Duomo ; la cathédrale
annoncée n’était qu’une petite église ancienne et sobre, aux murs blancs, avec
une façade en mosaïque. L’Empereur réussit enfin à y entrer, encadré par deux
chambellans pétrifiés ; déguisés dans des costumes de théâtre, ils se
cherchaient une attitude.
— Merci ! Bravo ! Ah, vous vous êtes bien
fichu de moi ! râlait Octave en se rasant le menton au-dessus d’une
cuvette.
— Vous vouliez voir de près des indigènes, se défendait
M. Pons, l’œil ironique.
— Ah ça je les ai vus ! Des sauvages, oui !
des singes !
— Vous n’êtes pas très aimable avec vos nouveaux
compatriotes…
— Les taudis, à Paris, j’en ai fréquentés, je vous
jure, mais là, vraiment, ça dépasse tout !
— Ne soyez pas excessif, monsieur Sénécal, et puis vous
aiderez l’Empereur à les civiliser.
Octave avait été réveillé par la lumière du jour, très tôt,
dans la maison familiale de Gianna, parce qu’il n’y avait aucun volet, et il
avait cru cauchemarder en regardant autour de lui. Dans un grand lit sommaire,
sans draps ni couvertures, s’alignaient sept ou huit dormeurs, de la grand-mère
au mioche, entièrement nus, et lui aussi. Il s’était levé d’un bond en
repoussant le bras de Gianna et sa jambe droite qui le clouaient sur la
paillasse. Bien sûr, elle était gironde, et sa sœur aussi, mais quoi ? Il
avait cherché à tâtons ses vêtements qu’il trouva parmi d’autres, sur la terre
battue du sol, les épousseta en les secouant, s’habilla sans bruit et se sauva
dans les rues en pente et les escaliers déserts. À l’aube, il avait longtemps
attendu sur le perron de la mairie, dont la porte était close, puis des
persiennes s’ouvrirent, des stores se levèrent, l’activité reprit, des ouvriers
vérifiaient la solidité des estrades en sautant dessus à pieds joints, des
hommes grimpés sur des échelles accrochaient des guirlandes. Une charrette de
fleurs mauves passa.
Octave avait été délivré de l’inaction par Joseph Hutré,
l’adjoint, qui lui ouvrit la maison commune.
Ce musicien de Toulon avait naguère fui la République sur
une corvette anglaise, chassé par les canons du capitaine Bonaparte, mais il
avait oublié cet épisode fâcheux en se mariant à une Elboise, et il tenait le
prestigieux Magasin des Salines, place du Grand-Rempart. Il avait montré à
Octave l’appartement que la municipalité réservait au souverain, quatre pièces
austères où, à l’époque du Consulat, un chef de bataillon en disgrâce, le
commandant Hugo, avait vécu avec ses trois garçonnets, leur nourrice et une
maîtresse grassouillette. Ensemble, Octave et l’adjoint avaient
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