Bücher online kostenlos Kostenlos Online Lesen
L'absent

L'absent

Titel: L'absent Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Patrick Rambaud
Vom Netzwerk:
repéré une source où
les marins de l’Undaunted s’approvisionnent, et l’un d’eux lui en a même fait
boire, bosselant son chapeau pour le servir. Il l’a trouvée délicieuse. Par la
porte-fenêtre j’aperçois Sa Majesté qui discute avec l’architecte, non,
l’ingénieur Bargigli, sous les palmiers et les cyprès du jardin…
    Parce que l’Empereur avait maintenant un palais, tout en
haut de la ville, entre le fort de l’Étoile et celui du Faucon. De sa terrasse
il voyait l’Italie. Il n’avait pas longtemps supporté de vivre au cœur de la
ville, dans la promiscuité, les odeurs nauséeuses, les sérénades permanentes
sous ses fenêtres qui lui cassaient les oreilles et portaient sur les nerfs. Il
pensait qu’un empereur devait vivre à l’écart de ses sujets, qu’il fallait
éviter la moindre familiarité, reconstituer au plus tôt une Cour et une
étiquette stricte. Lors de ses vadrouilles, car ses journées commençaient à
trois heures de la nuit, il avait cherché un terrain idéal pour y aménager un
palais, et il avait aimé cet endroit qui dominait Porto Ferraio d’un côté et,
de l’autre, tombait à pic sur une plage de galets d’un accès difficile. C’était
l’ancienne maisonnette d’un jardinier, flanquée de deux pavillons où logeaient
des officiers d’artillerie. Le nom du lieu, les Mulini, venait de deux moulins
récemment démolis, dont on voyait les fondations rasées dans les ronces et les
herbes folles. Il fallut très vite dégager un amas de cabanes et de pans de
murs inutiles, en pierre sèche, relier entre eux les deux pavillons, monter un
étage au-dessus de la maison basse, cimenter des allées entre les palmiers et
les myrtes, jusqu’au parapet du chemin de ronde couvert qui reliait les deux
forts au ras des falaises. L’Empereur avait lui-même tracé les plans,
qu’exécutaient des maçons, des menuisiers, des tapissiers sous le contrôle de
l’ingénieur Bargigli, avec lequel Sa Majesté causait ce jour-là :
    — Ces montagnes, pour y monter, le chemin est
praticable ?
    — Quelles montagnes, sire ?
    — Vous êtes myope ? Là-bas, à droite !
    — Mais elles sont sur le continent, sire.
    — Ah ? Mon île est décidément bien petite…
    Impatient d’habiter son palais, l’Empereur s’était installé
sans attendre l’achèvement des travaux. Il vivait ainsi dans les poussières, la
peinture, le ciment humide, les coups de marteau, le chant des rossignols. Pour
accélérer la cadence, il prêtait la main aux tâches les plus ingrates. Octave
l’avait vu manier la pioche et salir de terre ses culottes blanches, il l’avait
vu manger un œuf dur assis sur un monceau de gravats, et trinquer avec les
ouvriers qui badigeonnaient la façade en rose. Par souci d’économie, Napoléon
avait lancé une razzia sur le palais de Piombino, qu’on apercevait à la jumelle
de la terrasse des Mulini : Élisa, duchesse de Toscane, cette sœur qui l’avait
trahi, y avait abandonné son mobilier en fuyant les Autrichiens. Avec la
complicité amusée des marins anglais, un fourrier avait réussi à embarquer la
totalité des meubles ; il avait même démonté les parquets de sycomore et
les jalousies des fenêtres. Voici pourquoi des tabourets blanc et or, des
tables de nuit à cylindre s’accumulaient en désordre, à côté des échelles et
des pots de couleurs, sur le carrelage rouge carmin des trente pièces. Dans
celle qui servirait bientôt de bibliothèque, Octave referma son carnet sur les
détails insignifiants de cette existence plus bohème qu’impériale. Il regardait
par la baie vitrée. Dehors, deux gardes nationaux elbois posaient une statue de
Minerve sur un socle à peine sec. L’un des sous-officiers anglais qui assurait
le service de la maison vint à ce moment annoncer à l’Empereur l’arrivée d’un
visiteur ; M. Pons apparut peu après. Octave devinait sans effort la
teneur de la conversation aux gestes et aux mimiques. Napoléon toisait
l’administrateur des mines. Celui-ci se tenait droit comme un sabre ; il
devait répliquer sèchement aux questions ou aux ordres de l’Empereur, qui en
était visiblement irrité puisqu’il éructait, se tordait la bouche, gesticulait,
mais la scène fut courte, M. Pons tourna le dos et s’en alla tandis que Sa
Majesté distribuait des furieux coups de botte dans le parapet, sous le regard
effaré de l’ingénieur Bargigli. Octave passa dans la chambre de Napoléon

Weitere Kostenlose Bücher