Labyrinthe
recouvertes de tuiles se singularisent par leur forme en fer à cheval. Elle descendit les larges marches de pierre érodées par d'innombrables pas.
Ici, dans cette partie des fortifications appelée Lices basses, la différence d'époque entre le mur intérieur et le mur extérieur était flagrante. Et pour cause, puisque presque un millier d'années séparaient leur construction. Édifiées à la fin du XIII e siècle et restaurées au cours du XIX e 2 , les fortifications extérieures étaient constituées de blocs de pierre de taille relativement régulière, ce qui n'avait pas manqué de susciter une controverse à propos de l'inadéquation des restaurations. Mais Alice s'en moquait. C'était l'esprit des lieux, demeuré intact, qui l'émouvait. Quant au mur intérieur, y compris le mur ouest du Château comtal, il offrait un curieux mélange de gros appareillage médiéval et de petits moellons gallo-romains.
Après le fourmillement de la Cité, Alice éprouva un sentiment de paix, d'appartenance, aussi, parmi ces cieux et ces montagnes. Accoudée aux créneaux, elle contempla la rivière, imaginant la fraîcheur de l'eau autour de ses chevilles.
Elle se résolut à regagner la Cité seulement après que les derniers débris du jour eurent fait place au crépuscule.
1. Elle fit gaver un porc de grain et le jeta aux assiégeants laissant croire ainsi que la cité disposait de ressources inépuisables. Puis elle fit sonner les cloches pour parlementer avec Charlemagne. « Carcas te sonne ! Carcas te sonne ! » Carcassonne… (N.d.T.)
2. Par Viollet-Leduc. (N.d.T.)
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Carcassona
J ULHET 1209
Aux approches de Carcassonne, la troupe se mit sur une seule file, Raymond-Roger Trencavel en tête, suivi de près par Bertrand Pelletier. Le chevalier Guilhem du Mas fermait la marche.
Alaïs, elle, voyageait à l'arrière, avec le clergé.
Moins d'une semaine s'était écoulée depuis son départ précipité de Carcassonne, et cependant, beaucoup plus dans son esprit. Le moral de la troupe était au plus bas. Malgré des oriflammes intactes flottant au vent et l'absence de pertes dans ses rangs, le vicomte affichait une mine contristée attestant de son échec.
Arrivés à proximité des portes, ils mirent les bêtes au pas. Alaïs se pencha pour flatter l'encolure de Tatou. La jument était fourbue. Elle avait même perdu un fer, pourtant, sa vigueur n'en était pas affectée.
Une foule nombreuse s'était rassemblée au passage du cortège sous les armes des Trencavel, accrochées entre les deux tours de la porte Narbonnaise. Les enfants couraient à côté des chevaux et lançaient des fleurs en poussant des cris de joie. À leur fenêtre, les femmes agitaient banderoles et fanchons, tandis que le vicomte prenait la direction du château.
Comme ils traversaient le petit pont pour franchir les portes de l'Est, Alaïs ne ressentait rien, sinon du soulagement. La cour d'honneur résonnait des cris et des acclamations. Les écuyers se précipitèrent pour panser les chevaux de leurs maîtres, les servantes coururent aux étuves pour y préparer les bains, cuisiniers et marmitons se hâtèrent vers les cuisines, un seau d'eau dans chaque main, en vue du festin qui leur serait commandé.
Dans la forêt de bras mouvants et de visages souriants, Alaïs aperçut Oriane et, non loin, François. Elle rougit en pensant à la manière dont elle l'avait dupée en s'éclipsant à son insu.
Elle la vit qui scrutait la foule. Ses yeux s'immobilisèrent brièvement sur Congost pour le dévisager d'un air méprisant, avant de s'attarder sur Alaïs. Mal à l'aise, cette dernière affecta de ne pas la remarquer, consciente, malgré la foule, du regard insistant que sa sœur faisait peser sur elle. Quand elle se retourna, Oriane avait disparu.
Alaïs démonta en prenant soin de ne pas heurter son épaule blessée et tendit les rênes à Amiel qui conduisit aussitôt le pur-sang vers les écuries. Le bien-être qu'elle avait éprouvé à retrouver sa demeure s'était déjà évaporé pour faire place à une mélancolie aussi grise qu'un brouillard d'hiver. Autour d'elle, chacun avait une personne à serrer dans ses bras, épouse, mère, tante ou sœur. Elle chercha Guilhem des yeux et ne le vit nulle part. Déjà aux étuves. Même l'intendant n'était pas visible.
Dans un besoin subit de solitude, elle alla errer dans la petite cour. Un vers de Raymond de Mirval lui tournait dans la tête sans qu'elle pût s'en
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