Labyrinthe
l'enfer et autres dangers vernaculaires, autant de sujets sur lesquels le légat pouvait tympaniser un auditoire des heures durant.
Évreux n'avait d'estime pour aucun d'eux. Il jugeait leurs ambitions pitoyables : quelques pièces d'or, du vin et des ribaudes, quelques échauffourées, puis un retour glorieux dans ses états pour avoir servi la quarantaine 1 . Seul Montfort, assis un peu plus loin, semblait prêter l'oreille. Son regard étincelait d'un zèle inquiétant avec lequel ne pouvait rivaliser que le fanatisme exacerbé de l'abbé.
Évreux connaissait Monfort pour sa seule réputation, bien qu'ils fussent proches voisins. Il avait hérité de terres giboyeuses au nord de Chartres, et la conjonction d'un mariage arrangé et d'impôts répressifs avait favorisé un accroissement constant des biens familiaux au cours des cinquante dernières années. Il n'avait aucun frère pour lui disputer son titre et son endettement était anodin.
Le domaine de Monfort s'étendait aux environs de Paris, à moins de deux jours de cheval des états d'Évreux. Il était notoire que Monfort s'était mis sous la croix à la requête expresse du duc de Bourgogne, et tout aussi connus son caractère ambitieux, sa vaillance et sa piété. Il avait déjà participé aux campagnes de Syrie et de Palestine, et faisait partie des quelques croisés ayant refusé de prendre part au siège de Zara, lors de la quatrième croisade.
Nonobstant ses quarante ans, Monfort était fort comme un bœuf. Lunatique, peu loquace, il inspirait à ses hommes une loyauté proche de la dévotion, sans pour autant être aimé par nombre de barons qui ne voyaient en lui, au-delà de son statut, qu'un personnage cupide et cauteleux. Évreux n'éprouvait pour lui que mépris, tout comme il honnissait ceux qui clamaient que leur action participait de l'œuvre de Dieu.
Évreux s'était joint aux croisés pour un seul motif. Sitôt sa mission accomplie, il regagnerait Chartres, emportant avec lui les livres, à la recherche desquels il avait consacré la moitié de sa vie. Il n'avait nulle intention de périr sur l'autel de la foi de ses condisciples.
« Qu'est-ce ? gronda-t-il au serviteur apparu dans son dos.
— Un messager pour vous, monseigneur.
— Où est-il ? s'enquit-il sèchement en dardant sur l'homme un regard austère.
— Il attend à l'entrée du campement. Il a refusé de dire son nom.
— Vient-il de Carcassonne ?
— Il ne me l'a point annoncé, monseigneur. »
Après une brève courbette à l'adresse de ses commensaux, Évreux grommela quelques mots d'excuses, et se retira, son visage d'ordinaire pâle soudainement empourpré. D'un pas vif il franchit tentes et enclos pour joindre la clairière qui s'étendait à la limite du camp.
D'abord il ne distingua que quelques silhouettes dissimulées dans l'ombre. Puis il reconnut le serviteur d'un espie qu'il avait à Béziers.
« Eh bien ? » fit-il d'un ton âpre où perçait sa déception.
Le messager tomba à genoux.
« Nous avons retrouvé leurs cadavres dans les bois, non loin de Coursan.
— Coursan ? Leur mission était de suivre Trencavel. Qu'allaient-ils faire à Coursan ?
— Je ne saurais le dire, monseigneur », bégaya le serviteur.
Sur un simple regard d'Évreux, deux hommes sortirent du bois et s'avancèrent, la main effleurant la poignée de leur épée.
« Qu'a-t-on trouvé sur les lieux ?
— Rien, monseigneur. Les cottes, les armes, même les flèches qui les ont occis leur ont été enlevés. Les corps étaient nus ; tout a été emporté.
— Leur identité est-elle connue ?
— Au castellum , l'on ne parle que de la bravoure d'Amiel de Coursan, rien n'est dit, toutefois, sur l'identité des deux hommes. Avec lui se trouvait une femme, Alaïs du Mas, fille de l'intendant du vicomte Trencavel.
— Voyageait-elle seule ?
— Je l'ignore, monseigneur, sinon que Coursan l'a escortée personnellement jusqu'à Besièrs. Elle y a retrouvé son père dans le quartier juif. Ils y restèrent quelque temps, dans une demeure privée.
— Vraiment, murmura Évreux pour lui-même en esquissant un sourire. Et qui est le juif qui demeurait dans ladite demeure ?
— Son nom n'a point été rapporté.
— Est-il de la troupe partie pour Carcassonne ?
— Il en est, monseigneur. »
Évreux en conçut un vif soulagement, encore qu'il ne le montrât point, mais se mit plutôt à triturer la dague qui pendait à sa ceinture.
« Qui d'autre que
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