Labyrinthe
Découpées dans l'épaisseur des murs, se dessinaient les mêmes ouvertures carrées qu'elle avait observées la veille au soir, autour des Lices. Le dépliant expliquait qu'elles faisaient la jonction entre les différents niveaux.
Alice consulta sa montre-bracelet et constata avec plaisir qu'elle avait le temps de visiter le musée avant d'aller à son rendez-vous. Les salles des XII e et XIII e siècles de la bâtisse originale recelaient une collection de chandeliers de pierre, de colonnes, de corbeaux, de fontaines et de tombeaux datant depuis l'Antiquité romaine jusqu'au XV e siècle.
Elle déambula avec un intérêt mitigé. L'écrasante impression qu'elle avait ressentie dans la cour était passée, la laissant vaguement irritée. Elle suivit les flèches indicatrices jusqu'au cœur du bâtiment, la Chambre ronde qui, comme son nom ne l'indique pas, était de forme rectangulaire 1 .
Sous le plafond voûté s'étiraient deux longues parois où subsistaient deux peintures murales illustrant une scène de bataille. Une plaque stipulait que Bernard-Aton Trencavel avait pris part à la première croisade contre les Maures en Espagne et que la fresque avait été exécutée à sa demande, à la fin du XI e siècle. Parmi les oiseaux et les créatures fabuleuses qui ornaient la frise, l'on reconnaissait un léopard, un zébu, un cygne, un taureau, et un animal qui ressemblait à un chameau.
Alice admira le plafond d'un bleu céruléen qui, bien que pâli et craquelé, avait conservé sa fraîcheur et sa beauté. Sur le panneau de gauche, deux chevaliers s'affrontaient, l'un vêtu de noir et tenant un écu, s'apprêtant à être désarçonné par la lance de son adversaire. Sur le mur opposé, une bataille se déroulait entre Francs et Sarrasins. Cette fresque étant mieux conservée que la précédente, Alice s'y attarda plus longuement. Le motif central consistait, là encore, en un affrontement entre deux chevaliers, l'un monté sur un alezan crin lavé, l'autre, le chrétien, chevauchait un cheval blanc et brandissait un bouclier en forme de triangle arrondi. Inconsciemment, Alice tendait la main pour le toucher, lorsqu'un geste de semonce du gardien l'en dissuada.
Le dernier lieu qu'elle visita avant de quitter le château fut le petit jardin à l'écart de la cour du Midi. À l'abandon, il n'attestait de son passé que par les hautes fenêtres cintrées qui le surplombaient. Le lierre et autres plantes grimpantes se vrillaient autour des colonnes et le long des murs fissurés dans un air de grandeur surannée.
Tandis qu'elle déambulait dans le jardin ombreux, Alice fut gagnée d'un sentiment non plus de chagrin, mais de regret.
Quand Alice sortit du Château comtal, les rues de la Cité étaient encore plus animées.
Il lui restait quelque temps avant son rendez-vous chez le notaire, aussi emprunta-t-elle la direction opposée à celle de la veille, pour se retrouver place Saint-Nazaire que dominait la basilique du même nom. Cependant, c'est la façade fin de siècle de l'hôtel de la Cité, aussi noble que discrète, qui capta son premier regard. Avec son lierre grimpant, ses grilles de fer forgé, ses baies cintrées entièrement vitrées et ses auvents écarlates, le bâtiment respirait l'aisance des villes bien nanties.
Alors qu'elle contemplait les détails de façade, les portes coulissèrent et une femme apparut. Grande, la pommette saillante, elle arborait une chevelure d'un noir d'ébène encadrant un visage à demi caché par des lunettes de soleil à monture dorée. On aurait dit que son chemisier et son pantalon écrus reflétaient la lumière pendant qu'elle se déplaçait. Avec son bracelet d'or et le collier qui lui serrait le cou, elle faisait penser à une reine égyptienne.
Alice eut aussitôt l'impression de l'avoir déjà vue. Dans une revue, un film, à la télévision, peut-être ?
La femme monta à bord d'une limousine. Alice l'observa jusqu'à ce que le véhicule fût hors de vue, puis prit le chemin de la basilique. Une mendiante se tenait à l'entrée, à laquelle elle donna une pièce de monnaie.
Elle se figea, la main sur la poignée, comme pour s'apprêter à entrer dans un tunnel où soufflait un air glacial.
Ne sois pas sotte.
Une fois encore elle se força à franchir le seuil, refusant de céder aux sentiments irrationnels – cette même terreur qui s'étaient emparée d'elle dans la cathédrale Saint-Étienne, à Toulouse – et qui la
Weitere Kostenlose Bücher