Labyrinthe
dans la salle réservée aux familles, en compagnie de Mme Claudette. »
La porte se referma sur lui avec un déclic. Jeanne s'approcha du lit, le visage exsangue, les lèvres pincées mais le buste toujours aussi raide.
Elle repoussa le drap, et une quiétude sépulcrale se glissa dans la pièce. Baillard se rendit compte à quel point Yves était mort jeune. Son visage blafard ne montrait aucune ride. Le bandage qui lui enveloppait le crâne laissait apparaître des mèches de cheveux noirs. Les mains, couvertes d'ecchymoses rougeâtres, étaient jointes à la manière d'un prince égyptien.
Baillard regarda Jeanne se pencher sur le jeune homme pour lui baiser le front. Puis, d'une main qui ne tremblait pas, elle lui recouvrit le visage et se détourna pour glisser son bras sous celui de son ami.
« Nous pouvons partir. »
Ils traversèrent le couloir désert. Après un coup d'œil à droite et à gauche, il la conduisit vers une rangée de chaises fixées au mur. Le silence oppressant les incita à baisser instinctivement le ton, bien que personne ne pût les entendre.
« Cela faisait quelque temps que je m'inquiétais pour lui, Audric. Il avait beaucoup changé. Je le trouvais anxieux, renfermé.
— L'avais-tu interrogé à ce sujet ?
— Oui. Il prétendait que ce n'était rien, le stress, un peu de surmenage.
— Il t'aimait beaucoup, Jeanne, affirma Baillard en posant une main affectueuse sur son bras. Peut-être était-ce vrai ou pas. S'il s'est compromis dans une sombre histoire, c'est vraiment à son corps défendant. Sa conscience était troublée. En fin de compte, au moment crucial, il a pris la décision qui s'imposait. Il t'a envoyé l'anneau, sans égard pour les conséquences.
— Le capitaine Noubel m'a questionnée à ce sujet. Il voulait savoir si j'avais eu une conversation avec Yves, lundi dernier.
— Que lui as-tu répondu ?
— Non, ce qui est vrai », rétorqua-t-elle. Baillard poussa un soupir de soulagement. « Mais tu penses qu'Yves était payé pour transmettre des informations, n'est-ce pas, Audric ? Réponds-moi. Je préfère connaître la vérité. »
Le vieil homme leva les mains en signe d'impuissance.
« Comment pourrais-je la dire, si je ne la connais pas ?
— Alors, dis-moi le fond de ta pensée. Il n'y a rien de pire que de ne pas savoir. »
Baillard se prit à imaginer l'instant où le rocher était tombé devant l'entrée de la grotte, leur interdisant toute fuite. Sans savoir ce qu'il advenait d'elle. L'odeur d'étable, le rugissement des flammes, les soldats hurlant à leur poursuite. Des lieux et des images à demi oubliés. L'ignorance : était-elle morte ou vivante ?
« Es vertat , c'est vrai, répondit-il doucement. Ne pas savoir est une chose insupportable. » Il exhala un soupir : « Très bien. Je pense, en effet, que Yves était payé pour fournir des informations ; à l'origine, à propos de la trilogie, mais aussi sur d'autres sujets. J'imagine que cela a dû lui sembler anodin, au début. Un appel téléphonique ici et là, des détails sur l'endroit où quelqu'un pourrait se trouver, à qui ils pourraient s'adresser. Mais bientôt, ils ont dû lui demander plus qu'il ne voulait en donner.
— Tu dis ils . Sais-tu de qui il s'agit ?
— Il ne s'agit que d'hypothèses, rien de plus. La nature humaine ne change guère, Jeanne, même si en apparence, nous sommes différents. Nous évoluons, nous édictons de nouvelles règles, de nouveaux critères de vie. Chaque génération instaure de nouveaux préceptes en reniant les anciens, sous couleur d'évolution et de sagesse. Nous nous donnons l'air d'avoir peu de choses en commun avec nos prédécesseurs. Mais, sous notre enveloppe de chair, le cœur bat toujours de la même façon. Convoitise, soif de pouvoir, peur de la mort, aucun de ces sentiments n'a changé. Par bonheur, les bonnes choses de la vie ne changent pas non plus : l'amour, le courage, la charité, la volonté de conduire sa vie selon ses propres convictions.
— Cela finira-t-il un jour ?
— Je prie pour que cela survienne », hésita Baillard.
Au-dessus de leurs têtes, l'horloge marquait le passage du temps. À l'extrémité du couloir, des chuchotements, des bruits de pas, le couinement de semelles gommées sur le carrelage déchirèrent brièvement le silence. Puis plus rien.
« Ne vas-tu pas parler aux policiers ? demanda finalement Jeanne.
— Je ne pense pas que ce serait prudent.
— Le
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