Labyrinthe
langage.
Elle scruta encore le cachet de la poste : le 16 mars, soit quelques jours seulement avant le décès de sa tante. Cette dernière avait-elle personnellement rangé le poème dans le carton à chaussures, ou quelqu'un d'autre s'en était-il chargé ? Baillard peut-être ?
Remettant cette interrogation à plus tard, elle examina les photographies. Il y en avait en tout et pour tout dix, en noir et blanc, classées dans l'ordre chronologique. La date et le lieu où elles avaient été prises étaient écrits au dos. La première représentait un garçonnet à la mine grave et aux cheveux soigneusement coiffés, en uniforme de collégien. FRÉDÉRIC WILLIAM TANNER, SEPTEMBRE 1937, lut-elle machinalement.
Soudain, avec un sursaut, elle se souvint. Le même portrait de son père trônait sur le manteau de la cheminée, près de la photographie de mariage de ses parents, et d'une autre d'elle-même, à six ans, en tenue de fête. Si émouvant qu'il fût, ce portrait ne prouvait rien d'autre que Grace connaissait l'existence d'un demi-frère, même s'ils ne s'étaient jamais rencontrés.
Alice mit la photographie de côté et examina méthodiquement les neuf autres. La première qu'elle trouva de sa tante était relativement ancienne puisque prise en juillet 1958, au cours d'une fête votive.
Entre la tante et la nièce, l'air de famille était confondant. Tout comme Alice, Grace était menue et possédait des traits délicats, toutefois encadrés par une chevelure grise, dont la coupe résolument courte ne laissait place à aucune fantaisie. Elle regardait droit dans l'objectif et tenait fermement son sac comme un bouclier.
La dernière qui retint l'attention montrait encore Grace, quelques années plus tard, debout près d'un homme âgé. Ce visage ne lui était pas inconnu. Alice battit le rappel de ses souvenirs, et se rapprocha de la lumière pour un examen plus minutieux.
Grace et son compagnon se tenaient devant un vieux mur de pierre. Leur attitude un peu contrainte laissait entendre qu'ils se connaissaient peu ou pas du tout. À en juger par leurs vêtements, ce devait être la fin du printemps ou le début de l'été. Elle portait une robe à manches courtes serrée à la taille. Dans son costume clair, l'homme semblait grand et mince. L'ombre d'un panama lui cachait une partie du visage mais les taches brunes sur ses mains décharnées révélaient son âge avancé.
Accroché au mur, un panneau de rue en lettres blanches sur fond bleu était partiellement visible. Après un examen attentif, Alice parvint à en déchiffrer le nom : rue des Trois Degrés. Celui de la ville lui fut donné par la main de Baillard, ayant noté au dos de la photographie : AB et GT, junh 1993, Chartres .
Encore Chartres… Audric Baillard et Grace Tanner pour AB et GT , sans aucun doute. 1993, c'était la date de la mort de ses parents.
Réservant également cette photographie, Alice tira de la boîte à chaussures le dernier objet : un petit livre à la couverture de cuir bordée d'une fermeture à glissière oxydée, avec « La sainte Bible » imprimé en lettres dorées.
Après plusieurs tentatives, elle parvint à l'ouvrir. À première vue, cela ressemblait à une banale version King James de la Bible, et ce n'est qu'après être arrivée aux trois quarts du livre qu'elle découvrit dans l'épaisseur des pages une découpe rectangulaire d'environ sept centimètres par cinq.
À l'intérieur, il y avait plusieurs feuilles de papier qu'Alice déplia avec précaution. Un petit disque de pierre blanc, pas plus gros qu'une pièce de monnaie, s'en échappa et atterrit sur ses genoux. Pour de la pierre, il était très plat, très mince. Surprise, elle le tritura quelques instants, s'interrogea sur les lettres NS gravées sur une face. Des points cardinaux ? Les initiales de son propriétaire ? Peut-être une ancienne pièce de monnaie.
L'autre face lui révéla un labyrinthe, en tout point semblable à celui de l'anneau qu'elle avait observé, puis malencontreusement égaré.
Le bon sens lui soufflait qu'une telle coïncidence portait forcément en elle sa propre explication, sauf qu' a priori , elle n'en voyait aucune. Elle contemplait avec appréhension les feuilles pliées, se demandant quelle mauvaise surprise elles risquaient de lui réserver. Mais, une fois encore, la curiosité prit le dessus.
Tu ne peux plus t'arrêter maintenant.
Avec un soupir de soulagement, elle se rendit compte que ces
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