Labyrinthe

dans les lézardes des statues. »
    Autour d'Alice, les personnes acquiescèrent docilement. La guide enchaîna :
    « En 1194, un incendie dévasta presque entièrement Chartres ainsi que la cathédrale. Au commencement, on pensa que sa principale relique, la sancta camisia , robe qu'était censée porter Marie à la naissance du Christ, avait disparu dans les flammes. Mais on la découvrit trois jours plus tard dans la crypte, où les moines l'avaient dissimulée. La nouvelle fut perçue comme un miracle, le signe que la cathédrale devait être reconstruite. L'édifice, tel qu'il se présente à vous, fut achevé en 1223. En 1260, il fut consacré cathédrale de l'Assomption de Notre-Dame, première cathédrale en France dédiée à la Vierge Marie. »
    Alice n'écouta qu'à moitié, jusqu'au moment où ils parvinrent au transept nord de l'édifice. La guide désigna alors une succession de rois et de reines issus de l'Ancien Testament, sculptés au-dessus du portail.
    Là, elle éprouva un tressaillement d'excitation.
    « Il s'agit là de l'unique représentation de l'Ancien Testament dans l'enceinte de la cathédrale, expliquait la guide en engageant les touristes à se rapprocher. Beaucoup croient que la sculpture que vous voyez sur ce pilier montre l'Arche d'alliance, rapportée de Jérusalem par Ménélik, fils de Salomon et de la reine de Saba, bien que des historiens allèguent que l'Europe n'a découvert l'existence de Ménélik qu'à partir du XV e siècle. Et ici, ajouta-t-elle en baissant un peu le bras, réside un autre mystère : ceux parmi vous qui ont assez bonne vue pourront lire en latin HIC AMICTUR ARCHA CEDERIS … » Elle scruta le petit groupe avec un sourire malicieux. « Les érudits que vous êtes comprendront qu'une telle inscription n'a pas de sens. Certains manuels touristiques traduisent ARCHA CEDERIS par “Tu es chargé d'œuvrer par l'Arche” . Aussi l'entière inscription signifierait-elle : “Ici les choses prennent leur cours, tu es chargé d'œuvrer par l'Arche.” Cependant, si l'on considère CEDERIS comme une déformation de FOEDERIS , ainsi que le suggèrent certains exégètes, on pourrait traduire par “Ici est l'Arche d'alliance” .
    » Cette porte, parmi d'autres choses encore, explique partiellement le nombre de mythes et de légendes entourant la cathédrale. Contrairement à la règle établie, le nom des principaux maîtres d'œuvre de cet édifice demeure inconnu. Il est possible, pour une obscure raison, qu'aucun registre n'ait été établi et que les noms aient simplement été oubliés. Néanmoins, ceux qui ont une imagination, disons plus… scabreuse ont interprété cette absence d'information de manière différente. D'après la rumeur la plus répandue, la cathédrale aurait été édifiée par les descendants des Chevaliers pauvres de Salomon, à savoir les Templiers, comme un livre de pierre codifié, un gigantesque puzzle déchiffrable uniquement par des initiés. Nombreux sont ceux qui pensent que les ossements de Marie-Madeleine sont enterrés sous le labyrinthe, ou même le Saint-Graal.
    — Quelqu'un est-il allé vérifier ? » demanda Alice en regrettant aussitôt ses paroles devant les regards réprobateurs braqués sur elle comme des projecteurs.
    Le guide haussa les sourcils.
    « Certainement. Plus d'une fois. La plupart d'entre vous ne seront pas surpris d'apprendre que l'on n'a rien trouvé. Encore un mythe. Si nous poursuivions vers l'intérieur ? »
    Mal à l'aise, Alice suivit le groupe vers la porte ouest et se mit en ligne pour entrer dans la cathédrale. Aussitôt, chacun baissa le ton, tandis que l'odeur magique de pierre et d'encens faisait son œuvre. Dans les chapelles latérales comme près du grand portail, des rangées de chandelles tremblotaient dans la pénombre.
    Elle rassembla ses forces pour affronter une réaction ou des visions semblables à celles qui l'avaient assaillie à Toulouse et Carcassonne. Rien de tel ne se produisit, aussi se détendit-elle. Elle avait beau savoir, d'après ses recherches, que la cathédrale de Chartres était réputée posséder les plus beaux vitraux du monde, elle n'était pas préparée à une vision aussi éblouissante. Un merveilleux arc-en-ciel de couleurs miroitantes illuminait l'intérieur de l'édifice, dépeignant des scènes de la vie quotidienne et des événements bibliques : le vitrail à la Rose, le vitrail de la Vierge bleue, le vitrail de Noé, montrant le