Labyrinthe
se livrant aux pires exactions. Ils s'en saisirent et abusèrent d'elle. Puis, après l'avoir traînée de par les rues comme une vulgaire criminelle, la jetèrent dans un puits et la couvrirent de pierres jusqu'à ce qu'elle pérît enterrée vivante ou peut-être noyée.
— Alaïs et Sajhë avaient-ils idée de la gravité de la situation ?
— Quelques nouvelles parvinrent jusqu'à eux, le plus souvent plusieurs mois après les tragiques événements. La guerre sévissait encore en plaine. Ici, à Los Seres, ils vivaient simplement, mais heureux. Ils cueillaient du bois, salaient les viandes en vue des longs mois d'hiver, apprenaient à cuire le pain et à bâtir des toits de chaume pour se protéger des intempéries.
» Harif enseigna à Sajhë la lecture, puis l'écriture, d'abord en langue d'oc, ensuite dans le langage de l'envahisseur, de même qu'un peu d'arabe et d'hébreu. » Baillard sourit. « Sajhë était un élève récalcitrant, préférant les activités du corps à ceux de l'esprit. Néanmoins, avec l'aide d'Alaïs, il persévéra.
— Il voulait probablement lui prouver quelque chose », avança Alice.
En guise de réponse, le vieil homme lui décocha un regard.
« Rien ne changea jusqu'à la Toussaint, après que Sajhë eut fêté ses treize ans, et que Harif lui annonça son admission dans la maison de Pierre-Roger de Mirepoix pour y faire l'apprentissage de chevalier.
— Qu'en a pensé Alaïs ?
— Elle s'est réjouie pour lui. C'était ce dont il avait toujours rêvé. À Carcassona, il avait observé les écuyers astiquant les cuirs et les armures de leurs chevaliers ; il s'était glissé dans les lices pour les regarder jouter. La vie de chevalier se situait au-delà de sa condition, mais cela ne l'avait pas pour autant empêché de rêver de porter ses propres couleurs. Il semblait à présent que l'occasion de faire ses preuves lui était donnée.
— Alors il partit.
— En effet. Pierre-Roger de Mirepoix se révéla un maître fort exigeant, juste toutefois, réputé fort bien entraîner ses écuyers. La tâche était rude, mais Sajhë s'en acquittait avec adresse, célérité et ténacité. Il apprit à planter la lance dans la quintaine, s'aguerrit au maniement de l'épée, de la massue et de la masse d'armes, s'entraîna à chevaucher dos tourné sur une selle haute. »
Alice le regarda un instant, plongé dans la contemplation des montagnes et songea, non pour la première fois, à quel point ces personnages lointains, en la compagnie desquels Baillard avait passé l'essentiel de sa vie, s'étaient véritablement incarnés dans son esprit.
« Qu'en était-il d'Alaïs, durant ce temps-là ?
— Pendant que Sajhë était à Mirepoix, Harif commença à l'instruire des rites et des préceptes de la Noublesso . Sa sapience et ses talents de guérisseuse devinrent notoirement connus. Il existait peu de maladies, du corps ou de l'esprit, qu'elle ne savait traiter. Harif lui apprit à observer les étoiles, à comprendre la conception du monde tirée de sa connaissance des mythes anciens de sa terre d'origine. Cependant, Alaïs avait compris que ses intentions procédaient d'une intention plus profonde, qu'il la préparait, ainsi que Sajhë – et c'est pourquoi il l'avait séparé d'elle – à la tâche qu'il leur avait assignée.
» Entre-temps, Sajhë ne pensait guère au village. De vagues nouvelles, rapportées par des bergers ou des parfaits , lui parvenaient parfois, mais Alaïs ne se rendait jamais à Mirepoix. À cause d'Oriane, elle était devenue une fugitive dont la tête était mise à prix. Harif fit parvenir à Sajhë assez de pécunes pour lui permettre d'acquérir un haubert, un destrier, un heaume et une épée. Le jeune homme fut adoubé à quinze ans à peine. Peu après, il partit en guerre. Ceux qui s'étaient rangés du côté des Français en espérant quelque clémence changèrent de camp, parmi lesquels le comte de Toulouse. Cette fois, leur seigneur, le roi d'Aragon, assuma ses devoirs de protection lige et, en janvier 1213, remonta vers le Nord. Alliées à celles du comte de Foix, ses forces étaient suffisantes pour infliger un revers aux armées épuisées de Monfort.
» En septembre 1213, les deux armées, Nord contre Sud, se trouvèrent face à face à Muret. Pierre II était un chef de guerre courageux et un fin stratège. Mais l'attaque fut conduite dans le désordre, et il fut tué. Le Sud n'avait plus de commandement.
» Parmi
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