Labyrinthe

cathare ? demanda subitement Alice pour dissiper le doute qui subsistait encore dans son esprit.
    — Les cathares pensaient que le monde des sens procédait de l'œuvre du Démon. Ils étaient convaincus que Satan avait subtilisé de purs esprits flottant au royaume de Dieu pour les emprisonner ici-bas dans une enveloppe de chair. Ils croyaient aussi qu'en ayant une “bonne fin” après une existence vertueuse, leurs âmes seraient libérées de leurs attaches et retourneraient à Dieu dans la gloire des Cieux. Dans le cas contraire, ils se réincarneraient après quatre jours pour recommencer un cycle de vie. »
    Alice se souvint alors des mots qu'elle avait lus dans la bible de Grace.
    Que ce qui naît de la chair reste chair, que ce qui naît de l'esprit demeure esprit.
    « Les gens aimaient les Bons Homes qui les servaient. Ces derniers ne demandaient aucune rétribution pour officier à un mariage, un baptême ou un enterrement. Ils ne levaient aucun impôt ni ne prélevaient de dîme. Il existe une histoire à propos d'un parfait allant vers un fermier agenouillé au bout de son champ : “Que faites-vous ? demanda-t-il. – Je rends grâce à Dieu pour la belle moisson à venir”, répondit le fermier. Le parfait sourit et l'aida à se relever. “Ceci n'est point l'œuvre de Dieu, mais la vôtre. Car au printemps, c'est votre main et nulle autre qui a labouré cette terre.” Baillard leva les yeux vers Alice : comprenez-vous ?
    — Je pense, hésita-t-elle. Les cathares croyaient au libre arbitre.
    — Dans les limites que lui imposent le temps et le lieu où il est né, oui.
    — Alaïs souscrivait-elle à cette perception de l'existence ?
    — Alaïs leur ressemblait. Elle prêtait assistance aux personnes, se préoccupait davantage des autres que d'elle-même. Elle faisait ce qui lui semblait juste, sans tenir compte des coutumes et des traditions. Comme eux, elle était convaincue qu'il n'y aurait pas de jugement dernier, que le mal qui régnait autour d'elle ne pouvait être l'œuvre de Dieu. Mais tout bien pesé, non, elle n'était pas cathare. C'était une femme qui croyait au monde des sens.
    — Et Sajhë ? »
    Audric choisit de ne pas répondre directement.
    « Bien que le terme de “cathare” soit passé dans l'usage, à l'époque d'Alaïs, les croyants se faisaient appeler Bons Homes . Les écrits latins de l'Inquisition en font référence en tant qu' Albigenses ou heretici .
    — Dans ce cas, d'où vient le vocable “cathare” ?
    — Eh bien, nous ne pouvons laisser les vainqueurs écrire notre histoire à notre place. C'est un terme que moi et d'autres… » Il sourit, comme s'il se lançait une plaisanterie : « Les explications sont multiples. Il est possible que catar , en occitan ou cathare , en français soit issu du grec katharos , qui signifie “pur”. Qui peut dire ce qu'il sous-entend ? »
    Alice fronça les sourcils : quelque chose lui échappait sans savoir quoi.
    « Et la religion, d'où provient-elle ? De France ?
    — Les origines du catharisme européen reposent sur le bogomilisme, croyance dualiste qui se propagea, dès le X e siècle, en Bulgarie, en Macédoine et en Dalmatie. Lui-même se fonde sur des croyances religieuses plus anciennes, comme le zoroastrisme ou le manichéisme de Perse ; autant de religions qui croyaient en la réincarnation. »
    Une idée commença à prendre forme dans l'esprit d'Alice, le lien entre les propos de Baillard et ce qu'elle savait déjà.
    Attends et ça viendra. Sois patiente.
    « Au Palais des arts de Lyon il existe un manuscrit cathare de l'évangile de Jean, un des rares documents ayant échappé à l'Inquisition. Il est rédigé en langue d'oc, sa possession étant alors tenue pour un acte hérétique hautement condamnable. De tous les textes sacrés, l'évangile de Jean était le plus important aux yeux des Bons Homes . C'est celui qui tend le plus vers l'illumination personnelle par le biais de la connaissance, la gnose. Les Bons Homes refusaient d'adorer des idoles, des croix ou des autels creusés dans le bois ou la roche issus de la création du Diable. Ils tenaient la parole de Dieu en très haute considération. »
    Au commencement était le Verbe et le Verbe était avec Dieu, et le Verbe était Dieu.
    « La réincarnation, reprit-elle lentement, réfléchissant à haute voix. Comment est-il possible de concilier cette notion avec l'orthodoxie chrétienne ?
    — Le précepte central de la