Labyrinthe
chrétienté repose sur le don de la vie éternelle pour ceux qui croient en Jésus-Christ, et à son sacrifice sur la croix pour le rachat de nos péchés. La réincarnation est aussi une forme de vie éternelle. »
Le labyrinthe. Le chemin de la vie éternelle.
Baillard se leva pour aller ouvrir la fenêtre. Comme elle observait son dos étroit et raide, Alice perçut chez l'homme une volonté toute nouvelle.
« Dites-moi, madomaisèla Tanner, l'apostropha-t-il en se tournant vers elle. Croyez-vous au destin ? Ou bien sont-ce les chemins que nous empruntons qui déterminent ce que nous sommes ?
— Je… »
Elle ne savait plus trop que penser. Ici, dans ces montagnes éternelles qui confinaient aux nuages, le monde ordinaire et ses principes établis ne semblaient plus avoir cours.
« Je crois en mes rêves, répliqua-t-elle enfin.
— Croyez-vous pouvoir changer votre destinée ? » insista-t-il, cherchant une réponse.
Alice se surprit à acquiescer.
« Dans le cas contraire, à quoi tout cela servirait-il ? Si nous devons nous borner à suivre un chemin préétabli, alors toutes les expériences qui font de nous ce que nous sommes, aimer, pleurer, apprendre, changer, ne riment à rien.
— Et vous ne priveriez pas quelqu'un de son libre arbitre ?
— Cela dépend des circonstances. Pourquoi ?
— Je vous le demande pour que vous vous en souveniez, c'est tout. Le moment venu, je vous exhorte à vous rappeler ceci. Si es atal es atal. »
Ces mots éveillèrent un sentiment diffus. Elle était convaincue de les avoir déjà entendus. Elle eut beau fouiller dans sa mémoire, aucun souvenir ne revint.
« Ce qui doit arriver arrivera », traduisit-il doucement.
70
« Monsieur Baillard, je… »
Le vieil homme l'interrompit d'un geste.
« Benlèu , bientôt, déclara-t-il en regagnant la table pour reprendre le fil de la narration comme si leur dernière digression n'avait jamais eu lieu. Je vous dirai tout ce que vous devez savoir, je vous en donne ma parole. »
Alice ouvrit la bouche pour ajouter quelque chose, puis se ravisa.
« La citadelle était très peuplée, cependant, on y coulait des jours heureux. Pour la première fois depuis de nombreuses années, Alaïs se sentait en sécurité. Bertrande, qui avait presque dix ans, était très populaire auprès des enfants qui vivaient à l'intérieur et aux abords de la forteresse. Harif, quoique vieux et affaibli, était, lui aussi, plein d'entrain. La compagnie ne lui faisait pas défaut : il avait Bertrande pour le charmer, les parfaits pour ratiociner à l'infini sur la nature du monde et de Dieu. Sajhë y était aussi, attaché le plus souvent aux pas d'Alaïs qui ne s'en plaignait pas. »
Alice ferma les paupières afin que le passé pût prendre vie dans son esprit.
« Cette existence paisible aurait pu perdurer sans l'inconséquence de quelques-uns, assoiffés de vengeance. Le vingt-huit mai de 1242, Pierre-Roger de Mirepoix fut informé que quatre inquisiteurs venaient d'arriver à Avignonet, en conséquence de quoi, cela signifiait encore plus de parfaits et de credentes emprisonnés ou envoyés au bûcher. Aussi décida-t-il d'intervenir. Contre l'avis de ses hommes, y compris Sajhë, il rassembla une troupe de quatre-vingt-cinq chevaliers de la garnison de Montségur, leur nombre allant croissant en cours de route.
» Ils parcoururent les vingt et quelques lieues qui les séparaient d'Avignonet pour n'arriver que le lendemain. Peu après que l'inquisiteur Guillaume Arnaud et ses trois coreligionnaires se furent retirés dans leur chambre, un complice à l'intérieur de la maison déverrouilla la porte. En quelques instants, les quatre dominicains furent poignardés à mort. Sept chevaliers revendiquèrent le fait d'avoir porté le premier coup. L'on raconte que Guillaume Arnaud expira en psalmodiant le Te Deum . Ce dont on est sûr, c'est que les registres de l'Inquisition furent emportés et détruits.
— Une bonne chose, sans aucun doute.
— Ce fut surtout l'acte suprême de provocation. Ce mas-sacre appelait une prompte répression. Le roi de France décréta que Montségur devait être détruit une fois pour toutes. Une armée composée de barons du Nord, d'inquisiteurs, de mercenaires et de collaborateurs dressa le camp au pied de la montagne. Bien que le siège eût commencé, hommes et femmes de la citadelle continuaient d'aller et venir à leur gré. Après cinq mois, la garnison n'avait perdu que
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