Labyrinthe
trois hommes, et il semblait inéluctable que le siège avorterait.
» Les croisés firent alors appel à un peloton de mercenaires basques qui, pendant que se levait le vent froid des montagnes, montèrent un camp à un jet de pierre des murs du château. Le danger n'étant pas imminent, Pierre-Roger de Mirepoix décida de retirer ses hommes des travaux destinés à consolider le flanc est, partie la plus vulnérable du château. Ce fut une erreur fatale. Forts des renseignements que leur fournissaient les collaborateurs locaux, les mercenaires parvinrent à escalader les pentes vertigineuses du versant sud de la montagne. Après avoir poignardé les sentinelles, ils prirent possession du Roc de la Tour, un pic pierreux se dressant à l'extrême est du sommet de Montségur. Impuissants, les assiégés ne pouvaient qu'observer, cependant que les catapultes et les armes de jet étaient hissées sur le rocher. Dans le même temps, sur le flanc est de la montagne, un puissant trébuchet commença à infliger de sévères dommages à la barbacane.
» À noël 1243, les Français investirent la barbacane. À présent, ils n'étaient plus qu'à quelques dizaines de pas de la forteresse. Ils y installèrent de nouveaux engins. Les murs sud et est étaient à portée de tir. »
Tandis qu'il parlait, Alice regardait Baillard triturer l'anneau qu'il portait au pouce, et le souvenir d'un autre homme effectuant le même geste affleura en sa mémoire.
« Pour la première fois, poursuivit le vieil homme, l'on était confronté à la possibilité que Montségur tomberait.
» En bas, dans la vallée, quoique battues et fanées par dix mois de soleil, de pluie et de neige, les bannières de l'Église catholique et les oriflammes fleurdelisées du roi de France flottaient encore au vent. L'armée des croisés, conduite par Hugues des Arcis, sénéchal de Carcassona, comptait entre six et dix mille hommes, quand la forteresse ne disposait que d'une centaine de combattants.
» Alaïs voulait… » Audric s'interrompit. « Un conseil fut décidé, réunissant les évêques de l'Église cathare, Bertrand Marty et Raymond Aiguilher, se reprit Baillard.
— Le trésor cathare… C'est donc vrai ? Il a bien existé ?
— Deux credentes furent pressentis pour cette tâche, acquiesça-t-il. Mathieu et Pierre Bonnet. Chaudement vêtus en raison de l'extrême rigueur de l'hiver, ils attachèrent le trésor sur leur dos et se glissèrent hors du château à la faveur de la nuit. Ils évitèrent les sentinelles postées sur la route qui conduisait au village et prirent la route des monts Sabarthès. »
Alice écarquilla les yeux.
« Le pic de Soularac… »
Baillard hocha de nouveau la tête.
« De là, d'autres personnes les prirent en charge. La neige rendant les passes vers la Navarre et l'Aragon impraticables, ils décidèrent de descendre vers les ports à partir desquels ils s'embarquèrent pour la Lombardie où se développait une petite communauté de Bons Homes .
— Qu'est-il arrivé aux frères Bonnet ?
— Mathieu revint seul à la fin de janvier. Comme les sentinelles postées sur la route étaient des hommes originaires de Camon, près de Mirepoix, le passage lui fut accordé. Mathieu parla de renforts. À l'en croire, le nouveau roi d'Aragon viendrait à leur rescousse au printemps. Ce n'étaient, hélas, que des mots d'encouragement : le siège était trop près d'aboutir pour que des renforts pussent en changer l'issue. »
Baillard posa sa prunelle ambrée sur Alice.
« Nous entendîmes des rumeurs alléguant qu'Oriane faisait route vers le Sud, accompagnée de son fils et de son mari, pour prêter main-forte aux assaillants. Cela ne pouvait signifier qu'une chose : après tant d'années, elle avait découvert qu'Alaïs était encore en vie. Le Livre des mots était de nouveau à sa portée.
— Alaïs ne l'avait sûrement pas en sa possession… »
Baillard ne répondit pas.
« À la mi-février, les assaillants lancèrent une nouvelle attaque, et le premier mars 1244, après une dernière tentative pour déloger les Basques du Roc de la Tour, une seule corne résonna sur les remparts du château ravagé. Raymond de Péreille, seigneur de Montségur, et Pierre-Roger de Mirepoix, commandant de la garnison, franchirent la grande porte et se rendirent à Hugues des Arcis. La bataille était finie. Montségur, dernier bastion de la résistance cathare, était tombé. »
Alice s'adossa à sa
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