Labyrinthe
potions et le Livre des nombres , en lui promettant de persister dans sa quête du Livre des mots .
— Pour épouse, s'étonna Alice. Et…
— Jehan Congost ? C'était un brave homme. Pédant, soupçonneux, dénué d'humour, peut-être, mais loyal serviteur. François l'assassina sur les instances d'Oriane. François méritait de mourir. Si macabre que fût sa fin, il ne méritait pas mieux. »
Alice secoua la tête.
« J'allais vous interroger au sujet de Guilhem…
— Il est resté dans le Midi.
— N'avait-il pas quelque espoir au sujet d'Oriane ?
— Il combattit sans relâche les croisés pour les bouter hors du pays. Les années passant, il se bâtit une formidable réputation dans les montagnes. Il commença par offrir son épée à Pierre-Roger de Mirepoix puis au fils du vicomte Trencavel quand il tenta de reconquérir les terres enlevées à son père.
— Il changea donc de camp ? s'exclama Alice, sidérée.
— Non, soupira Baillard, non. Guilhem du Mas ne trahit jamais son maître. C'était un écervelé, certes, mais pas un traître. Oriane l'avait circonvenu. Il fut fait prisonnier en même temps que Raymond-Roger, contrairement à ce dernier, il parvint toutefois à s'échapper. » Baillard prit une profonde inspiration, comme s'il avait du mal à l'admettre : « Ce n'était pas un traître.
— Alaïs était pourtant convaincue du contraire, objecta Alice.
— Il fut seulement l'artisan de sa propre disgrâce.
— Cela, je le sais, et cependant… vivre avec un tel regret, savoir qu'Alaïs le méjugeait…
— Guilhem ne mérite aucune compassion, l'interrompit sèchement le vieil homme. Il trompa Alaïs, il rompit ses vœux de mariage, il l'humilia. Et pourtant, malgré cela, elle… Pardonnez-moi, il est parfois difficile d'être d'objectif. »
Pourquoi cela le trouble-t-il à ce point ?
« Il ne chercha jamais à la revoir ?
— Il l'aimait, dit simplement Audric. Il ne serait pas risqué à conduire les Français jusqu'à elle.
— Et elle, n'a-t-elle pas tenté de le revoir ? »
Le vieil homme secoua lentement la tête.
« L'auriez-vous fait, à sa place ? »
Alice réfléchit un instant.
« Je ne sais pas. Si elle l'aimait vraiment, en dépit de ses actes…
— Des nouvelles des combats que livrait Guilhem parvenaient de temps à autre au village. Alaïs se gardait de tout commentaire, n'empêche qu'elle était fière de l'homme qu'il était devenu. »
La jeune femme s'agita sur son siège. Baillard parut sentir son impatience, car il accéléra le rythme de son récit.
« Durant les cinq années qui suivirent le retour de Sajhë, une paix précaire régna sur le pays. Auprès d'Harif, Alaïs et lui vécurent heureux. D'autres habitants de Carcassona avaient trouvé refuge dans les montagnes, notamment Rixende, qui était venue s'installer dans le village. La vie y était simple, mais bonne.
» Tout changea en 1229. Un nouveau roi venait de s'installer sur le trône du royaume de France. Saint-Louis était un défenseur zélé de l'Église catholique, un homme aux convictions religieuses fortement ancrées. Cette hérésie persistante le tourmentait. Malgré les années d'oppression et de persécutions exercées sur le Midi, l'Église cathare rivalisait encore en autorité et en influence avec celle des catholiques. Les cinq évêchés cathares – Tolosa, Albi, Carcassona, Agen et Razès – étaient plus considérés, plus prépondérants en bien des lieux que leur contrepartie catholique.
» Au début, rien de ce qui se passa n'affecta Alaïs ou Sajhë. Ils poursuivirent leur existence comme auparavant. L'hiver venu, Sajhë se rendait en Espagne afin d'y chercher armes et pécunes qui lui permettraient d'organiser la résistance. Alaïs se tenait en retrait. Habile cavalière, adroite au maniement de l'arc comme de l'épée, elle déployait tout son courage à apporter des messages à travers l'Ariège et les monts Sabarthès. Elle trouva un refuge pour les parfaits et les parfaites , procurait abri et nourriture, dispensait des informations sur l'endroit et le jour où aurait lieu le service. Les parfaits étaient, pour la plupart, des prêcheurs itinérants, ne subsistant que de leur labeur : cardage, boulange, filage. Ils voyageaient par deux, le maître et son disciple, le plus souvent des hommes, parfois des femmes. Un peu comme Esclarmonde, amie et mentor d'Alaïs, quand elles vivaient à Carcassona.
» Excommunications, indulgences
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